François Graner, chercheur et biophysicien, fait partie de ces scientifiques et universitaires avec qui nous avons des échanges amicaux, quoique sporadiques, depuis de nombreuses années, et tout d’abord sur la critique de la science. C’est ainsi qu’en 2011, co-lauréat d’un prix Art & Science organisé par Minatec et le CEA de Grenoble, il avait généreusement distrait 2000 € de sa récompense, afin de financer Pièces et main d’œuvre, poussant la conscience jusqu’à s’en expliquer sur notre site (ici et là).
« Le problème, disions-nous alors, c’est que François Graner souffre de « dissonance cognitive ». C’est l’expression scientifique et contemporaine de ce qu’on nommait jadis « troubles de conscience » et encore avant « états d’âme ». » L’âme et la conscience ayant disparu avec la religion et la politique, reste la science - qui est « neutre », comme le savent tous les imbéciles - et donc, « tout dépend de l’usage qu’on en fait ».
La plupart des scientifiques, bien sûr, ont une conscience « sociale » ou « citoyenne », et nombre d’entre eux sont prêts à s’engager pour le bien et contre le mal, pourvu que cela ne nuise pas à leur activité professionnelle, en particulier à leur discipline, ni au bien-fondé de l’institution scientifique, de sa domination sociale, de leur domination sociale.
Certains iront jusqu’à blâmer certaines applications militaires ou marchandes de leurs recherches, des dévoiements, des « dysfonctionnements », à condition que leur position au sein de leur corporation, de leur corporation au sein de la classe technocratique, et de la classe technocratique au sommet de la société, ne soit pas sapée. Bonne conscience, fausse conscience.
Parmi les raisons que François Graner avait de partager son prix avec nous, figurait le désir de nous aider « à diffuser une réflexion sur le sujet ». Nous n’avons rien fait d’autre depuis dix ans, ce qui nous a conduit en cette Année du Virus à nous interroger, un peu avant tout le monde, sur la possibilité d’une fuite de laboratoire, et de manipulations génétiques ayant peut-être doté ce virus de « gains de fonction » (voir Le règne machinal. La crise sanitaire et au-delà).
François Graner, de son côté, fait partie d’un petit groupe de scientifiques dont les alertes et les questions ont contribué à convaincre Le Journal du CNRS, The Lancet, Le Monde, Le Wall Street Journal, l’OMS, puis toutes les girouettes médiatiques, qu’il fallait se demander s’il y avait quelque chose de pourri dans l’origine de ce virus. Pourri à quel point, c’est ce que nous ne cessons de découvrir, tout en sachant que les suspects ont détruit toutes les traces matérielles qui auraient permis l’aboutissement de l’enquête.
Forcément, François et nous, nous sommes retrouvés autour d’un déjeuner en terrasse, fin mai, entre un confinement et le passe numérique, pour examiner où en étaient les rapports de la science et de la conscience, et nous lui avons posé la question qu’Alexandre Grothendieck, médaille Field de mathématique 1966, avait posée à la corporation scientifique en 1972 : « Allons-nous continuer à faire de la recherche scientifique ? », et aussi : « Pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ? A quoi sert socialement la recherche scientifique ? » (voir ici).
Questions restées sans réponse de la part des collègues de Grothendieck, de ses amis du groupe Survivre et Vivre et de toute la corporation scientifique depuis, celui-ci n’obtenant en retour que silence, déni et dérobades, sinon un franc dédain. C’est que dans le monde résultant de deux siècles de révolution scientifique et techno-industrielle, le renoncement à la science équivaudrait à un désarmement unilatéral – d’un pays, d’une entreprise, vis-à-vis de tous leurs rivaux. Un suicide, une reddition. Quant aux membres des pays et des classes « avancées », ils y perdraient une bonne part de ce « progrès », de ce confort quotidien, de cette facilité de vie, acquis avec cette révolution - science, puissance, puiscience. Que la rançon de ce progrès se paye d’un effondrement écologique global et – selon nos maîtres et bienfaiteurs scientifiques – d’un possible suicide collectif, c’est ce que nous savons tous à peu près depuis 50 ans. Mais ce que la science a défait, elle peut le refaire, non ? Ou du moins peut-elle nous adapter, produire un homme-machine encastré dans un monde-machine, comme l’ont décidé nos maîtres et dirigeants, afin de continuer à fonctionner sous un état d’urgence perpétuel et définitif.
François Graner a travaillé tout l’été sur cette question : « Devons-nous arrêter la recherche ? » Il est scientifique et il l’a fait dans le langage et suivant les règles rigoureusement prudentes de la démarche scientifique. Accumulation de faits, multiplication d’arguments, de contre-arguments et d’hypothèses, concision des conclusions. Il retrace dans la première partie de son texte « les manquements des scientifiques » durant cette crise du Covid, « et analyse les liens entre ces manquements et le fonctionnement actuel de la recherche. » La seconde partie « engage une réflexion plus générale, axée sur les leçons à tirer en ce qui concerne la recherche scientifique dans son ensemble : son utilité pour la société, ses dangers, ses régulations, et son futur. »
Conclusion : « Il nous faut d’urgence déterminer et imposer un cadre de valeurs permettant d’anticiper et de trier à la fois les pistes de recherches et leurs applications, pour en réfréner toute la démesure, en couper tous les liens non seulement avec la guerre des humains entre eux, mais aussi avec la guerre des humains contre le vivant ; et engager l’humanité vers la diminution consentie de l’effort global de recherche et des inégalités.
En sommes-nous capables ? Si non, la question lucide de Grothendieck se pose sérieusement : devons-nous arrêter de faire de la recherche scientifique ? »
Et vous, qu’en pensez-vous ?
(Pour lire les deux volets du texte de François Graner, ouvrir le document ci-dessous.
Nous publions également une version en anglais, traduite par des chercheurs américains - en fait par leurs logiciels de traduction automatique)