Veille technologique de l’ambassade de France aux Etats-Unis

18/11/2010

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65151.htm

National Nanotechnology Initiative : décryptage du nouveau plan stratégique

Comme tous les trois ans, le comité directeur du National Nanotechnology Initiative (NNI) - le programme fédéral américain de financement de la recherche en nanotechnologie - doit publier son plan stratégique. Cette année, il prend une saveur un peu particulière car le programme NNI fête ses 10 ans. L’occasion de faire le bilan du trajet parcouru et de mettre en place les objectifs pour 2020.

La version de la stratégie NNI 2010 publiée le 1er novembre est soumise à commentaires jusqu’à la fin du mois [1]. Les suggestions peuvent être transmises par email ou via le portail qui avait été mis en place cet été dans le but de recueillir les avis pour préparer le document [2]. La version finale de la stratégie sera sans doute prête pour le Nanotechnology Innovation Summit qui se tiendra à Washington du 8 au 10 décembre [3].

Le casse-tête que doivent résoudre les responsables du NNI est toujours le même. Comment faire travailler des agences fédérales qui ont chacune leur culture propre, leurs objectifs propres et leur agenda propre afin d’assurer le développement des nanotechnologies ? Depuis 10 ans, le nombre de ces agences n’a cessé d’augmenter. Huit à l’origine du programme en 2001, elles sont près d’une trentaine désormais à participer au partage du gâteau des subventions fédérales pour les nanotechnologies. Un gâteau ? Une pièce montée ! Presque 1,8 milliard de dollars pour l’année fiscale 2011 (FY 2011) qui vient de débuter [4].

Ces agences vivent des budgets fédéraux qu’elles parviennent à récupérer. C’est bien l’argent -un peu aussi leurs missions quand même- qui les pousse à participer au NNI, avec l’objectif de rafler la plus grosse part possible chaque année. Sachant que le NNI n’est qu’un programme de coordination des financements n’ayant pas d’autorité sur les agences et leur programmation, la marge de manoeuvre est faible. Il faut beaucoup d’imagination aux responsables du programme pour pousser les agences à collaborer plus.

La raison d’être du plan stratégique

Le NNI a été mis en place afin de coordonner le financement fédéral de la R&D dans le domaine des nanotechnologies et de promouvoir la coopération entre les agences fédérales menant des activités dans le domaine des nanotechnologies. Il est porté par une vision : "Un futur dans lequel la possibilité de comprendre et de contrôler la matière à l’échelle nanométrique conduit à une révolution technologique et industrielle qui sert la société." Cette vision doit se réaliser par la poursuite de quatre buts : la mise en place d’un programme de R&D de classe internationale, la promotion du transfert de technologie, le développement et maintien de ressources éducatives, d’une main d’oeuvre qualifiée et d’infrastructures de recherche, et le soutien au développement responsable des nanotechnologies. Le rôle du plan stratégique est de décliner, pour chacun des buts, une série d’objectifs atteignables à court terme.

Pour identifier les évolutions par rapport au plan stratégique 2007, il faut traquer les différences entre les deux versions [5]. Il est intéressant de voir alors dans quelle mesure les propositions effectuées ces derniers mois lors de l’évaluation du programme par différentes structures ont été prises en compte [6]. Sur les quarante pages de la version 2010, plus de la moitié -concernant la présentation du NNI, de son fonctionnement et des agences participantes- sont une copie, quasiment mot pour mot, de la version 2007. L’information clé est contenue dans deux sections : "Goals and Objectives" et "The Path Forward".

Les dix années qui viennent de s’écouler ont servi de laboratoire d’idées pour le NNI. La mise à jour de la stratégie permet de faire le point sur la situation et de se donner les objectifs pour les années qui viennent. Et, pour qui sait lire entre les lignes, il s’agit surtout pour le NNI de mettre en avant ses nouvelles idées dans le but d’assurer la coordination, la collaboration et la communication entre les agences, et au-delà. Que nous réserve le cru 2010 ? Quelles sont les nouveautés, les options abandonnées ? Décryptage.

De nouveaux programmes de financement pour assurer -ou plutôt forcer- la coopération

Puisque les agences rechignent à collaborer, il faut trouver des moyens de les y inciter tout en orientant la recherche sur des priorités nationales. En 2007, le NNI proposait de développer des échanges de chercheurs entre agences. Une initiative louable, mais bien peu efficace. La seule carotte qui peut entrainer un changement : l’argent bien sûr !

Le NNI semble avoir trouvé dans les Signature Initiatives un outil efficace. Ces nouveaux programmes de financement entrainent la mise en place d’équipes-projet impliquant la participation d’au moins trois agences fédérales sur une thématique stratégique devant conduire à des retombées économiques. Lancées pour la FY 2011, les trois premières Signature Initiatives concernent la fabrication des nanomatériaux, la conversion de l’énergie solaire et la nanoélectronique. Le plan de travail pour chacune a été défini de manière détaillée cet été [7]. Le NNI envisage de lancer cinq autres de ces Signature Initiatives dans les cinq prochaines années.

Les autres moyens de financement poussant à la coopération consistent à mettre en place des programmes de recherche conjoints entre agences ou à développer des installations de recherche communes. Dans le cas des Joint Research Calls, les thématiques de collaborations sont laissées libres - contrairement aux Signature Initiatives. Des comités d’évaluation sélectionnent les projets les plus prometteurs. Le cas des Joint Research Facilities est inspiré du Nanotechnology Characterization Laboratory [8], un centre cofinancé par le National Cancer Institute, le National Institute for Standards and Technology et la Food and Drug Administration sur les nouveaux traitements pour le cancer. Au-delà de ces initiatives, il est rappelé aux agences que l’exploration de toute nouvelle forme de collaboration entre elles est fortement encouragée.

A cela s’ajoute une volonté d’impliquer de manière plus forte tous les niveaux hiérarchiques des agences fédérales. Comme l’avait souligné l’évaluation effectuée par le PCAST [6], le NNI souffre d’un manque d’autorité sur les agences pour les amener à collaborer. Les leaders de toutes les agences sont invités à évaluer la manière avec laquelle les priorités du plan stratégique du NNI peuvent s’inscrire dans le cadre des travaux menés par leur agence. Et inversement. Les responsables du NNI tiennent ainsi à multiplier les échanges avec les responsables des agences afin de faire coïncider de manière plus efficace les objectifs du NNI avec les objectifs propres des agences.

Toutes ces initiatives constituent une manière souple de rappeler aux agences, et à ceux qui les dirigent, que trop d’indépendance de leur part est mal venue et qu’il est de leur devoir d’être plus au service des objectifs du gouvernement fédéral dont elles dépendent.

L’accent sur le développement responsable et les questions sociétales

La question du développement responsable des nanotechnologies est devenue centrale ces dernières années. En 2007 les objectifs associés à ce but étaient vagues. Il s’agissait plutôt d’une déclaration d’intention de s’occuper plus précisément de la thématique environnement, santé, sécurité (EHS en anglais). Trois années d’effort - et sans doute un changement d’administration, plus enclin à faire avancer ces questions - ont porté leurs fruits. Dans la nouvelle stratégie, la question de la sureté des nanomatériaux est approchée de manière globale et détaillée. Les objectifs se font plus précis : développement des protocoles de mesure des propriétés des nanomatériaux et de leurs effets sur les systèmes biologiques et l’environnement, tout au long du cycle de vie des produits ; développement de modèles pour estimer les risques posés ; suivi des populations à risques, notamment les travailleurs ; partage des informations recueillies sur les risques ; mise en place de guides et de standards ; travail avec l’ensemble des parties prenantes ; mutualisation des efforts ; implication dans les discussions à l’échelle internationale. Ceci n’est qu’un avant gout de la stratégie NNI spécifique aux questions EHS dont la mise à jour est en cours. Elle devrait être publiée d’ici deux mois.

A cela s’ajoute la prise en compte tout aussi importante des questions éthiques, légales et sociétales (ELSI en anglais). Là aussi, des propositions plus concrètes : développement de communautés d’experts provenant de tous les horizons -académique, industriel, ONG, consommateurs, etc- afin de réfléchir rapidement aux risques et bénéfices de toute nouvelle avancée dans le domaine ; mise à disposition d’une liste d’experts reconnus pour aider les acteurs à identifier les problématiques et à l’accompagner la recherche de solutions.

La nouvelle stratégie s’appuie sur trois année de réflexion, de rapports, de workshop organisés autours des questions EHS et ELSI. Il s’agit sans doute du domaine qui a le plus progressé depuis le dernier plan stratégique. Le développement responsable est capital pour assurer la réussite des nanotechnologies. Le management des risques posés pour la santé ou l’environnement est une des conditions nécessaires pour assurer le développement industriel et économique du domaine.

L’engagement de tous les acteurs : une nécessité

Un autre point sur lequel la nouvelle stratégie insiste fortement est la participation de toutes les parties prenantes pour atteindre tous les buts mis en avant par le NNI. Le mot lui-même -stakeholders en anglais- qui n’est utilisé qu’à quelques reprises dans les documents de 2004 et 2007, apparaît plus de 50 fois dans le nouveau plan stratégique.

La liste de ces acteurs est large : agences fédérales, monde académique, industriels, organisations non gouvernementales, consommateurs, travailleurs, citoyens, états et collectivités locales, etc. La participation de tous ces acteurs est prônée pour assurer un feedback sur les initiatives mises en place par le NNI afin de les améliorer ou encore pour orienter les politiques de régulation des nanomatériaux afin d’assurer le développement responsable des nanotechnologies.

L’échange et le partage d’information : une priorité

La mise en place d’un hub rassemblant toutes les informations concernant les nanotechnologies est l’un des objectifs centraux du NNI pour les prochaines années. Cette plateforme de collaboration ouverte à tous aurait pour but de connecter les acteurs entres eux et de partager toutes les avancées, les réflexions, les actions menées par chacun : derniers résultats des études sur les risques posés par les nanomatériaux ; guides de bonnes pratiques pour assurer la protection des travailleurs ; matériel pédagogique pour l’enseignement ; présentation des carrières possibles dans le domaine ; présentation des dernières découvertes, des derniers produits ; etc. Le hub serait aussi l’outil permettant de récolter l’avis des parties prenantes sur toutes les orientations prises. Il constituerait l’instrument permettant de maintenir les citoyens informés des développements du domaine et de leur donner la parole. Définie de cette façon, cette plateforme participative semble bien être un outil de choix pour atteindre les trois missions du NNI : coordination, collaboration et communication.

Le NNI Strategic Portal [9], développé pour permettre à tous les acteurs de faire des suggestions sur les pistes à envisager pour la nouvelle stratégie, n’a pas été un grand succès jusqu’à présent. Si 150 membres étaient inscrits le 15 août dernier - à la clôture de la période des commentaires - peu d’entre eux avaient effectivement participé à la soumission d’avis. La période estivale n’a peut être pas non plus joué en faveur des organisateurs. Il faudra sans doute du temps pour que le hub décrit, une fois mis en place, trouve son rythme de croisière. Cependant, les agences semblent être aussi motivées que le NNI pour développer cet outil.

Au besoin d’échange et de communication s’ajoute celui de faire naître des vocations pour assurer le développement d’une main d’oeuvre qualifiée pour les années à venir. L’essor des nanotechnologies coïncide avec une baisse marquée de l’intérêt des jeunes pour les carrières scientifiques. Les tenants du NNI comptent utiliser les retombées des nanotechnologies -en termes de nouvelles propriétés et de nouveaux produits- pour faire naître des vocations. Ils évoquent dans la stratégie la création d’un facteur "wouah" pour inspirer les nouvelles générations. La plateforme servirait alors aussi de vitrine attirante pour pousser les jeunes à s’engager dans des carrières scientifiques.

Le hub aurait aussi pour but de promouvoir l’existant, mis en place depuis 10 ans, auprès des PME peu impliquées pour le moment. Celles-ci ont besoin de plus d’information sur les possibilités de financements fédéraux, sur les infrastructures mises en commun -instruments de mesure et de fabrication- auxquelles elles peuvent avoir accès ou encore sur l’état de l’art concernant les risques posés par les nanomatériaux et leur prévention. Ces préoccupations envers les PME sont complètement nouvelles -elle n’avait jamais été évoquées dans les plans précédents- et témoignent du besoin pressent d’assurer les retombées économiques des 12 milliards de dollars investis depuis 2001.

La mise en avant de l’échelon régional et local

Le NNI a permis le développement des infrastructures de R&D à l’échelle nationale. Cependant, pour créer de la richesse et des emplois, les activités de R&D doivent s’inscrire dans la dynamique d’un territoire. Un des objectifs pour ces prochaines années consiste à se servir du levier fédéral pour mettre en place des centres de recherche d’envergure locale afin de favoriser, notamment par le transfert de technologie, l’essor économique des régions. Le NNI se fixe comme objectif de mettre en place trois centre de recherche coopératifs régionaux sous cinq ans.

La comparaison internationale

Les responsables du NNI prévoient de comparer l’efficacité de leur programme de financement des nanotechnologies avec ceux développés par les autres économies majeures. Cette quête d’indicateurs est une tendance très forte dans toutes les agences et quel que soit le domaine de recherche. Les efforts effectués dans le cadre du NNI sur cette thématique seront donc inscrit dans un cadre plus large. Cette volonté de positionnement international révèle une crainte permanente : celle de perdre le leadership mondial dans le domaine des nanotechnologies.

Bilan

Une coordination mieux maitrisée, l’importance du développement responsable, l’intégration de tous les acteurs, des objectifs plus concrets : le NNI mûrit. Il a fallut du temps pour roder la machine. Le domaine des nanotechnologies pose en effet des défis aux politiques publiques : celui de se moquer des frontières disciplinaires, celui d’évoluer dans un contexte de régulation inexistant ou encore celui de nécessiter la mise en commun d’expertise et de moyens pour assurer son développement.

Les responsables du programme ont su utiliser les expériences menées depuis 10 ans pour arriver à définir les outils qui leur permettraient de mener au mieux leurs missions. Les agences aussi ont fait évoluer leur position. Les nouvelles orientations reflètent ces changements. Le trait le plus marquant est sans aucun doute la dimension participative des objectifs. Quels qu’ils soient -publics ou privés, politiques, industriels ou académiques, engagés ou consommateurs- les acteurs ont compris qu’ils avaient besoin les uns des autres s’ils veulent parvenir à réaliser la vision du NNI : développer les nanotechnologies et les mettre au service de la société.

Pour en savoir plus, contacts :

 [1] L’appel à commentaires sur le site du NNI : http://www.nano.gov/
 [2] La future stratégie du National Nanotechnology Initiative en débat, BE Etats-Unis 216, V. Reillon, 16/07/2010 - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/64078.htm
 [3] Le site du Nanotechnology Innovation Summit - http://www.nsti.org/events/NNI/
 [4] Nanotechnologies : un budget 2011 stable mais un réajustement des priorités, BE Etats-Unis 197, V. Reillon, 01/03/2010 - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/62404.htm
 [5] Le plan stratégique du NNI de décembre 2007 - http://www.nano.gov/NNI_Strategic_Plan_2007.pdf
 [6] National Nanotechnology Initiative : une évaluation positive avant l’entrée dans une nouvelle phase, BE Etats-Unis 203, V. Reillon, 19/04/2010 - http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/62981.htm
 [7] Les trois premières Signature Initiatives en détail - http://www.nano.gov/html/research/signature_initiatives.html
 [8] Le site du National Characterization Laboratory - http://ncl.cancer.gov/
 [9] Le NNI Strategy Portal - http://strategy.nano.gov/

Source :
No Input is Too Small : Comment on National Nanotechnology Initiative’s Strategic Plan, Office of Science and technology Policy News, T. Earles, 01/11/2010 - http://redirectix.bulletins-electroniques.com/h1kKI