Dans le second volume du Mythe de la machine, Lewis Mumford cite Albert Speer, architecte et technocrate en chef de Hitler, lors de son procès devant le tribunal de Nuremberg :
« Mon espoir était en un certain sens comblé ; la faute se trouvait, dans une grande mesure, reportée sur nous, les accusés [et non, comme il le craignait, sur le peuple allemand qui aurait alors dû faire l’objet de représailles]. Mais en cette malheureuse époque, en dehors de l’infamie des hommes, un facteur, pour la première fois, avait fait son entrée dans l’histoire, différenciant cette dictature de tous ses modèles historiques et devant sans doute, dans l’avenir, encore gagner en importance. En tant que principal représentant d’une technocratie qui venait, sans s’embarrasser de scrupules, d’engager tous ses moyens contre l’humanité, j’essayai non seulement de reconnaître mais également de comprendre ce qui était arrivé.
Dans mon discours final, je déclarais : ‘ La dictature de Hitler fut la première dictature d’un État industriel en cette période de technique moderne, une dictature qui, pour dominer son propre peuple, se servit à la perfection de tous les moyens techniques. Grâce à des moyens techniques, tels que la radio et les haut-parleurs, 80 millions d’hommes purent être asservis à la volonté d’un seul individu. Le téléphone, le télex et la radio permirent aux plus hautes instances de transmettre immédiatement leurs ordres aux échelons les plus bas, où on les appliqua sans discuter à cause de la haute autorité qui s’y attachait. De nombreux services et de nombreux commandos reçurent ainsi par voie directe leurs ordres funestes. Ces moyens permirent une surveillance très ramifiée des citoyens, en même temps que la très grande possibilité de garder secrets les agissements criminels. Pour le non-initié, cet appareil d’État peut apparaître comme le fouillis apparemment absurde des câbles d’un central téléphonique. Or, comme ce central téléphonique, une volonté pouvait à elle toute seule l’utiliser et le dominer. Les dictatures précédentes avaient besoin de collaborateurs de qualité, même dans les fonctions subalternes, d’hommes capables de penser et d’agir par eux-mêmes. À notre époque de la technique, un système autoritaire peut y renoncer, les seuls moyens d’information lui permettent de mécaniser le travail des organes subalternes. La conséquence en est le type d’individu qui reçoit un ordre sans le discuter’. »
(Voir aussi "Entretien avec Lewis Mumford sur le Mythe de la machine")
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