En librairie : De la technocratie (la classe puissante à l’ère technologique). Voir ici

Suivant les idées reçues de Marx et d’Ellul, et pieusement répétées par leurs disciples, les systèmes capitaliste et technicien partageraient un trait commun ; ce seraient tous deux des systèmes automates. Autonomes, c’est-à-dire, ne recevant leur loi, nomos, que d’eux-mêmes. Des « processus sans sujet », uniquement mus par la « force des choses », sans autre but que leur reproduction, leur « auto-accroissement » perpétuel (toujours plus de capital, toujours plus concentré ; toujours plus de technologie, toujours plus expansive). Bref des moyens sans maître et sans autre fin que leur auto-reproduction en perpétuel emballement.
Quant aux capitalistes et aux techniciens, ils ne seraient que les « fonctionnaires » asservis du capital ou de la technique, des instruments impersonnels et interchangeables, non moins soumis à leurs lois que les exécutants de base, et donc irresponsables de leur expansion universelle.
Or ces idées qui prennent l’apparence pour la réalité succombent à l’examen.
Les capitalistes ne sont pas réductibles aux « fonctionnaires du Capital », ni à des financiers fous ou à des accapareurs pathologiques. Ce sont des passionnés de puissance qui accumulent les moyens de la puissance dans la société de leur temps : les vaches, la terre, les armes, l’argent, les machines. Que ces moyens changent, ils changent de moyens.

Le système technicien qui est le double entrelacé du capital industriel depuis 200 ans, n’est pas plus « automate », ni « autonome » que lui. Il n’y a pas de « force des choses », sauf à sombrer dans la pensée magique et l’anthropomorphisme, (les objets se « cachent », ils ont de la « malice », etc.) et à s’imaginer que les jouets s’éveillent la nuit pour vivre leur vie secrète.
Il faut distinguer entre la logique intrinsèque et virtuelle de « l’art de faire », du « savoir-faire » - la tekhnê – la mékhaniké teckhnê par exemple, l’art de faire une machine, et son actuel développement par certains hommes. La logique virtuelle « des choses », leur rationalité, présente bien l’aspect automate du système technicien, du capitalisme technologique (et de leur emballement conjoint), mais cette logique virtuelle, cet automatisme, ne peut rien par lui-même, tant qu’il n’est pas actualisé et activé par des hommes qui « ont les moyens », qui « veulent des moyens », qui « se donnent les moyens », etc. Et ils le font, au niveau platement empirique et historique, contre la volonté d’autres hommes, et contre d’autres rationalités, d’autres « logiques des choses », qui perdent en général.
C’est qu’il y a réciprocité entre la tyrannie de l’efficacité et l’efficacité de la tyrannie.
Le profit capitaliste est d’abord un moyen d’acquérir des moyens en vue d’un but ; de la volonté de puissance ; pouvoir, prestige, jouissance, longévité ; et même en vue de la toute-puissance ; création et immortalité.

Ainsi la recherche de « retour », de rendement financier, pourrait disparaître sous le régime technocratique, en tant que moteur de l’accaparement, au profit de celle des moyens directs de la puissance tels que les poursuivent les transhumanistes : c’est-à-dire des machines, des « engins de création » de Drexler et de l’auto-machination. En clair, la transformation du corps par ingénierie génétique et hybridation électromécanique.
Bref, ces possédés aliènent leur personne à leur volonté de toute-puissance. Ils obéissent à une loi reçue de l’extérieur – hétéronome - de leur modèle mimétique imaginaire (Dieu). Et dans leur soumission à ce modèle imaginaire, ils transforment leur corps et le monde qui le prolonge en instruments et moyens de cette volonté de puissance insatiable et furieuse.

Voici plus de trente ans que, dans le sillage de Gorz, des penseurs annoncent la sortie du capitalisme, sous la poussée de l’automation et la chute des taux de profit. Ainsi se réaliserait, disent-ils, la prophétie de Marx dans sa Contribution à la critique de l’économie politique (1857) sur l’avènement du communisme, issu des flancs de la vieille société. Rien n’interdit en effet un « capitaliste collectif », un capitalisme sans capitalistes, un capitalisme d’Etat par exemple – voyez l’URSS et feues les « entreprises d’Etat », en France - mais aussi le dirigisme étatique du capitalisme américain ou chinois. La mode, chez nos penseurs, étant plutôt au capitalisme participatif, coopératif, avec distribution de revenus à tous les cyborgs, suivant des modalités plus ou moins généreuses, afin de conserver des consommateurs solvables. Bref, la creative class des start up s’intégrant aux robots dans une machine sociale au fonctionnement optimal. Le cyber-communisme naissant du capitalisme technologique de la Silicon Valley et « le dépassant ».

Cyber-communisme ou cyber-capitalisme, ce qui compte ici, c’est le changement de moyens. La conversion du capital aux machines. Ce n’est pas la première fois que l’on voit changer les moyens de la puissance. Le capital lui-même n’était que la conversion du cheptel, des têtes (caput) de bétail en signes et vecteurs de puissance. Nous en gardons la trace dans la pécune, la richesse en bétail – puis en argent – issue de l’indo-européen peku, « troupeau ».
Bref, nous connaissons assez d’histoire pour savoir que la bourgeoisie et le capitalisme industriel n’ont pas toujours existé, et pour imaginer qu’ils ne soient pas toujours, mais à quoi bon, si une société et une classe pires encore doivent leur succéder ? C’est-à-dire la technocratie libertarienne. La classe de l’expertise, de l’efficacité et de la rationalité maximales, qui concentre à la fois le savoir, l’avoir et le pouvoir, au service de la puissance maximale.
Voire l’espèce supérieure des post-humains cybernanthropes ?

C’est de quoi il est ici question.

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