En rangeant nos affaires, nous avons retrouvé un entretien de 2004, avec le site "La Spirale" ("An e-zine for the digital mutants"). C’est la dernière fois que nous avons jugé utile de discuter avec des techno-maniaques.
A relire maintenant ces propos, et à voir tout le développement subséquent des nanotechnologies, des neurotechnologies, de la biologie de synthèse, des technologies convergentes et du cyber-gouvernement, on ne peut s’empêcher de s’exclamer : "On vous l’avait bien dit". Particulièrement savoureuse avec le temps, la question de la toxicité des nanoparticules que nous affirmions dès lors, et qui depuis deux ans est une vérité officielle (Cf
"Les nanoparticules, c’est bon pour la société de contrainte").
En ce temps-là, nous nous disions "Simples citoyens". Nous ne le faisons plus, de toute façon, on ne nous croirait pas. Maintenant, nous nous contentons d’être des animaux politiques.
PIECES ET MAIN D’OEUVRE
Entre Bill Joy, co-fondateur de Sun Microsystem et auteur d’un article inquiétant sur les développements de l’intelligence articificielle dans le magazine Wired, et José Bové, égérie moustachue de l’altermondialisme, les anonymes grenoblois de Pièces et main d’œuvre s’interrogent sur les effets réels des récents développements en matière de micro et nanotechnologie. Et si l’infiniment petit devenait une menace pour notre environnement et notre santé ? Comme ils le disent eux-mêmes : « Faites circuler, il y a tout à faire ! »
Propos recueillis par Frédéric Audran.
Pouvez-vous nous présenter votre collectif. Et nous dire qui le constitue précisément ? Il semblerait qu’il soit principalement constitué de scientifiques grenoblois ? L’anonymat est-il indispensable à votre démarche ?
Pour répondre à votre question sur l’anonymat, notre position en quelques mots :
Il y a l’Autorité (journalistes, scientifiques, experts et politiciens) et il y a les simples citoyens. Les premiers n’ont jamais trop de publicité. Les journalistes font du "copier-coller" avec des dossiers de presse et les signent. Plus ils signent, plus ils se font connaître et gagnent de l’argent. On sait que le mot d’ordre chez les scientifiques, c’est "publish ou perish". Plus un chercheur a de publications, plus il a de prestige et de crédits pour son laboratoire. Quant aux politiciens, leur obsession publicitaire sert leurs ambitions électorales et leur appétit de pouvoir.
Vous aurez compris qu’en agissant à titre de simples citoyens, nous signifions notre absence d’ambition et de volonté de nous constituer en autorités. Nous ne sommes pas en compétition avec elles. Nous les récusons simplement. C’est aussi une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas constitué d’association. Dans une ville comme Grenoble, dès que deux personnes en rencontrent une troisième, elles fondent une association, puis elles déposent un dossier de demande de subvention, puis elles parlent au nom "des gens". Pratiquement, on est sommé de faire partie d’une "association" pour avoir droit au peu de parole que nous laissent les autorités.
Nous sommes "des gens". Des anonymes. Et nous ne laissons à personne le soin de parler à notre place.
Enfin, nous voulions que nos textes soient lus pour eux mêmes, et que leur réception ne soit pas polluée, dans un sens ou dans l’autre, par la personnalité et la signature de leurs auteurs. Cela dit rassurez-vous, nous sommes discrets mais pas clandestins !
Je comprends votre démarche mais pourquoi ne pas signer de vos noms et prénoms de citoyens ?
Comme nous l’avons déjà dit, nous voulons que nos textes soient jugés sur leurs propres mérites, et non sur leurs signatures. Au lecteur de vérifier nos sources (que nous livrons), et nos assertions. Toutes signatures de noms propres déplaceraient immédiatement la discussion sur les personnalités des signataires. Le seul "poids" que nous visions est celui de la parole livrée. Une fois encore nous pensons que le titre de simple citoyen doit suffire pour avoir droit à l’attention dans le débat public. Ce que nous tâchons de démontrer.
Il semblerait que certains d’entre vous soient issus des milieux scientifiques. Vos textes sont particulièrement bien argumentés et votre site foisonne d’informations. Pouvez-vous justement nous expliquer ce qui a amené à sa création ? Il y a bien eu des "rencontres" au préalable ?
Le site a été créé pour servir de base de données sur la critique des techno-sciences grenobloises, en rassemblant les textes rédigés et distribués à l’occasion de conférences, débats publics et autres occasions. Il réunit des contributions diverses mais s’appuie surtout sur un travail d’enquête et de documentation. Du journalisme sauvage, en somme.
Rentrons dans le vif du sujet. On a beaucoup glosé autour des nanotechnologies, qui sont selon certains censées sauver l’humanité de la famine, de la pauvreté, etc. Selon Libération (daté du 25/09), "les nanoparticules n’appartiennent plus à un futur proche ou éloigné, elles sont déjà répandues dans les processus de fabrication de certains produits. Certaines, à base d’oxyde de titane, entrent depuis longtemps dans la composition de crèmes solaires, d’autres, en silice, composent les pneus des voitures." Il semblerait pourtant que nous soyons encore loin des nanorobots. N’y a-t-il pas eu une surenchère (nourrie surtout sur le web) à propos des possibilités que peuvent offrir les nanotechnologies ?
Le "bluff technologique" (Jacques Ellul), se reproduit à chaque étape de la technification du monde. Atome, informatique, etc. Les nanotechnologies, avatar le plus récent de cette technification, reproduisent évidemment pour partie le bluff. Certains observateurs, et même de jeunes chercheurs du CEA, nous confient sous le manteau "qu’il n’ y a rien de nouveau", "que tout ça, c’est juste une façon pour le CEA de Grenoble de pomper du fric, d’avoir des labos, des crédits, des contrats", en somme d’entretenir cet appareil "d’ingénieurs, de cadres et de techniciens" dans un luxe relatif. Une opération aux limites du poujadisme. Cette vision n’est pas entièrement fausse, mais très partielle. Si pour l’essentiel, les nanotechnologies restent confinées au laboratoire, on voit déjà toutes sortes d’applications industrielles apparaître ça et là (et même chez DGTEC, à Grenoble). Voyez à ce sujet le n°1 de "Aujourd’hui Le Nanomonde".
Clairement le système n’investit pas les sommes colossales qu’il investit dans les nanotechnologies, simplement pour brûler du capital et entretenir des parasites. Les stratèges industriels ont de la suite dans les idées. Ils planifient à dix ou vingt ans, ce qui peut sembler long à l’échelle humaine mais qui est ridiculement court à l’échelle historique.
Sur Pmo.erreur404.org (NDR : piecesetmaindoeuvre.com), vous pointez à plusieurs reprises des risques possibles et imminents qui, à l’instar des OGM, ne seraient pas pris en compte par la recherche. Vous parlez notamment d’études non publiées à propos de "nanoparticules qui peuvent facilement être absorbées par des vers de terre, entrant ainsi dans la chaîne alimentaire et pouvant ultérieurement atteindre l’être humain", dont la dangerosité pour la santé de l’homme resterait à déterminer. Dans ce cas, pourquoi rien n’est fait et pourquoi ces études ne sont-elles pas publiées ?
Des études sur la toxicité des nanotubes de carbone ont été menées par des chercheurs du Jonhson Space Center de la NASA et de l’Université de médecine de Houston (Texas) notamment. Leurs résultats sont rapportés par Mae-Wan Ho, de l’Institute of Science in Society. "Alarmant", dit Mae-Wan Ho.
Par ailleurs des chercheurs canadiens publient à l’Institute of Physics de Toronto un rapport intitulé "Mind the gap : science and ethics in nanotechnology", dans lequel ils s’alarment du manque d’études consacrées aux aspects éthiques, sociaux et légaux de ces nouvelles technologies. "Les nanotechnologies progressent rapidement. Les avancées auront un impact énorme sur des domaines comme les matériaux, l’électronique ou la médecine. Malgré l’impact potentiel des nanotechnologies et l’abondance de leurs financements, nos recherches ont révélé un manque de publications sérieuses sur leurs implications éthiques, légales et sociales. Alors que la science avance à grands pas, l’éthique reste en arrière."
C’est toujours le même scénario : au nom de la croissance et de l’emploi on développe des technologies sans étudier leurs conséquences pour la santé, l’environnement, ni sur le contrôle social et les utilisations militaires. Ou on étouffe délibérément les études qui gênent, comme celle d’Armad Pusztaï, ce chercheur britannique évincé pour avoir révélé la toxicité des pommes de terre OGM sur des rats.
Qu’en est il du risque "écophagique" décrit par Michael Crichton dans son dernier best-seller "Prey" ? Et pouvez-vous en rappeler le principe auto-réplicatif ? On nage en pleine science-fiction, bien le débat ne soit pas encore tranché (cf. http://www.foresight.org/NanoRev/Letter.html) ? Qu’en est-il exactement ?
"Exactement", nous n’en savons pas plus que vous. Le risque d’"écophagie" décrit par les nanotechnologues eux-mêmes, c’est la consommation de tout le carbone terrestre par des nanorobots dont l’auto-réplication est fondée sur la chimie du carbone. Une variante de l’"apprenti-sorcier", le dessin animé de Walt Disney. Pour les spécialistes, ce risque est "non-nul". C’est-à-dire comme en langue de bois que le-risque-zéro-n’existe-pas. En l’occurrence, il ne s’agirait pas d’un "risque majeur" (type Seveso ou Tchernobyl), mais du risque final. De l’extinction de toute vie sur terre. Mais qui est ce "on" qui pense nager dans la SF ? Le problème de la SF, c’est un peu celui de "Pierre et le loup". Ses intuitions et ses mises en garde, très souvent correctes sont minées par leur forme artistique et divertissante, ainsi que par leur précocité. Ainsi quand on en arrive à la SR (Science Réalité ?) et aux nécrotechnologies, les services de communication du système ont beau jeu de renvoyer les critiques à "la science fiction".
Vous évoquez sur votre site la Nanobusiness Alliance, une structure basée à New York qui représente plus de 250 compagnies américaines travaillant sur les nanotechnologies. Cette structure serait en train de former un groupe de travail sur les problèmes environnementaux et les problèmes de santé concernant les produits nanoscopiques en réponse aux spéculations croissantes sur les dangers de ceux-ci – dixit encore une fois votre site. Lorsqu’on réalise les sommes englouties dans la recherche dans ce domaine, pensez-vous qu’un tel groupe puisse freiner les choses en cas de risque majeur établi ?
Si l’on considère les précédents du nucléaire et des OGM, pas le moins du monde. Ces comités d’"auto-régulation", issus du champ de recherches lui-même, sont des contre-feux pour empêcher que l’état ou le public se mêlent de ce qui les regardent.
Souvenez-vous de la conférence d’Asilomar en 1975 : 140 scientifiques se réunissent pour régler la question des risques du génie génétique. Officiellement il s’agit d’anticiper les accidents, de faire de la "prévention" : on présente ça comme la première action d’auto-régulation des scientifiques. En réalité les chercheurs sont surtout pressés de reprendre leurs travaux laissés en jachère et de tenir le public et les gouvernements à l’écart de leurs recherches. Aucun scientifique dissident n’est invité à cette conférence qui compte des représentants de l’industrie pharmaceutique.
Beaucoup d’incertitude plane encore dans ce domaine et nombreux sont les scientifiques qui fustigent la paranoïa des altermondialistes qui, comme c’est le cas pour les OGM, essaient par tous les moyens d’alerter les opinions publiques. Est-ce que vous vous sentez visés ?
Nous nous opposons aux scientifiques qui croient résoudre des problèmes politiques par des réponses techniques. Il n’est pas question de "paranoïa" mais de remise en question politique. S’opposer aux OGM et aux nanotechnologies, c’est s’opposer au monde qui les produit, un monde "hors sol" entièrement voué à la croissance. Nous sommes des objecteurs de conScience.
Votre démarche s’inscrit aussi dans un cadre plus global puisque vous fustigez la croissance économique à tout prix. Vous prônez la décroissance, celle qui ne justifie pas les gaspillages hallucinants en terme de ressources énergétiques consacrées aux "nécrotechnologies" dans la région de Grenoble - en particulier cet été pendant la canicule où malgré les restrictions en matière d’eau, le pole Minatec fût miraculeusement épargné.
Est-ce que vous vous sentez proches justement de ces mouvements pro-environnementaux et altermondialistes ? D’autre part, comment expliquez-vous le silence des verts à Grenoble ?
Une précision : le pôle Minatec n’est pas encore construit. Mais toute l’industrie des micro et nanotechnologies a en effet pompé des litres d’eau durant l’été dernier dans la région grenobloise (notamment Crolles 2, le complexe de STMicroelectronics / Philips / Motorola). Les "mouvements pro-environnementaux et altermondialistes", c’est trop flou comme appellation ! Mais nous partageons les idées de ceux qui militent pour la décroissance (voir les références sur Pièces et main d’œuvre.com et le site Décroissance.org).
Quant au silence des Verts grenoblois, il s’explique en partie parce que, comme partout dans la technopole des Alpes, les Verts ont dans leurs rangs des chercheurs et des responsables de labos impliqués dans le développement des nécrotechnologies. Et parce que les Verts en général préfèrent gérer les nuisances plutôt que les supprimer. Ils ont une approche technique plutôt que politique des affaires publiques. Et puis ils sont de toutes façons prisonniers de leurs alliances avec les nucléocrates du PS dont, à toutes fins pratiques, ils ne constituent plus qu’un courant parmi d’autres.
Vous expliquez que l’armée a investi dans le pôle Minatec à Grenoble. Pouvez vous rappeler rapidement à nos lecteurs quel est l’objectif de ce pôle ? Quand sera-t-il opérationnel concrètement ?
Minatec doit ouvrir à Grenoble en 2005. Ce centre sera le plus important en Europe consacré aux nanotechnologies : 60 000 m2, 4500 ingénieurs, professeurs, étudiants. Plus de 150 millions d’euros d’investissement, dont 127 millions de fonds publics. Minatec est la pièce centrale d’un vaste dispositif qui comprend le complexe de Crolles 2 (voir plus haut), Nanotec 300, NanoBio et de nombreuses start-ups. Derrière tout ça, on retrouve le Commissariat à l’Energie Atomique (voir "Enquête sur une capitale high-tech" sur notre site).
En octobre 2002 la Délégation Générale pour l’Armement (DGA) et le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) ont signé une "déclaration d’intention pour une coopération active dans le domaine des composants électroniques", plus particulièrement au sein de Minatec. Objectif : "satisfaire les besoins de la défense pour la veille technologique, l’accès aux technologies civiles les plus avancées et l’acquisition de technologies spécifiques". La DGA aura accès à l’observatoire des micro et nanotechnologies et à l’IDEAS LAB, une "structure de réflexion sur les applications des technologies, pour la veille à court et moyen terme, et l’évaluation de la menace". Elle sera associée aux orientations de Minatec, participera au choix des sujets de thèses, aux groupes de réflexion sur l’élaboration des programmes du CEA-LETI et cofinancera certains des programmes de recherche retenus. L’alliance recherche-industrie-armée est une vieille tradition grenobloise, depuis la guerre de 1914 jusqu’aux recherches actuelles sur les infrarouges et les nanotechnologies.
Que peut attendre l’armée des "nanosciences" ? Crichton évoque des micro caméras intraçables et dans le domaine, on a déjà ça (voir l’article sur le micro-robot sur le site d’Epson). Peut-on craindre des armes nécrotechnologiques, qui préfigureraient de nouvelles modalités guerrières ?
Les partenariats entre l’armée et les centres de recherches comme Minatec ou le CEA prouvent l’intérêt des militaires pour les microtechnologies et les nanotechnologies. Toute technologie est duale : elle sert le civil comme le militaire. Voyez le programme de la journée "Science et Défense" organisées lors des Rencontres Minatec 2001 sur le site Minatec.com (protection contre les environnements agressifs, discrétion, senseurs, têtes militaires, applications aux navires, aéronefs, véhicules terrestres, aux armes NBC, aux "systèmes du combattant", aux drones, etc.). Voyez aussi le n°6-7 de "Aujourd’hui Le Nanomonde".
On peut aussi envisager que nos gouvernements décident pour des raisons de sécurité ou médicale de nous implanter ça (voir https://gvsregistry.4verichip.com/index.htm) afin de nous tracer sans difficultés. C’est carrément Big Brother versus Le meilleur des mondes. Est ce un processus inéluctable selon vous ? Descendre dans la rue suffira-t-il à stopper la machine ?
Les seules batailles perdues d’avance sont celles qu’on ne livre pas. A part ça, on ignore ce qui "suffirait à stopper la machine", et si même c’est possible. Mais chacun pour soi doit décider de son degré de soumission, d’attentisme ou de résistance.
Un article issu d’un magazine pro-nanotechnologies pointe du doigt la difficulté qu’ont les médias à retranscrire fidèlement la complexité des problèmes liés à ce genre de technologies. On tombe facilement dans le piège de la surenchère et de la paranoïa. Depuis le début de cet entretien, nous avons déjà évoqué des thèmes choquants et des scénarios cauchemardesques. Ne prend-on pas le risque d’embrumer les esprits quant aux risques réels ? Comment voyez vous le rôle des média ? Quel devrait-il être ?
Quels comportements aurait-on dû attendre au sujet de la vache folle ? Le nuage de Tchernobyl "arrêté aux frontières", le prion "intransmissible à l’homme", les pesticides "inoffensifs", l’amiante déclarée "sans danger" par l’Académie de Médecine : Qui embrume les esprits ?
La complexité des sujets scientifiques est un prétexte servant à confisquer la décision au profit des "experts". Encore une fois la question n’est ni scientifique, ni technique. Elle est politique, donc du ressort de tous. Les médias devraient TOUT dire, par exemple expliquer que les gens ont plusieurs casquettes (les scientifiques liés aux industries, les élus issus du CEA, etc.). Pour l’heure, à de rarissimes exceptions près, ils constituent simplement le service de propagandes des nécrotechnologies.
Pour conclure, dans un autre article captivant, vous décrivez l’action de l’Ideas Lab (voir "Aujourd’hui le nanomonde" n°3) au service du pôle Minatec et des nécrotechnologies. Je vous cite : "Ce laboratoire d’idées (a été) créé en 2002 par le CEA/LETI, STMicroelectronics, France Telecom R&D et Hewlett Packard Labs pour concevoir des objets communicants et leurs services associés. (...) Dans le monde d’IDEAs Lab et de Minatec, on ne répond pas à d’éventuels besoins de la population, on développe d’abord une technologie qui peut rapporter gros et on tente d’en créer le besoin parmi la population". Vous effectuez notamment une comparaison avec les téléphones portables. Indiscutablement, ils parasitent et cadenassent certains, persuadés de ne plus pouvoir vivre sans eux. L’inverse est aussi vrai : nombreux sont ceux qui maîtrisent leur usage et qui leur trouvent une réelle utilité…
On trouve toujours une utilité aux objets à posteriori, c’est le "comment j’ai fait pour m’en passer ?" que la pub martèle à longueur de journée. Et si on répondait à la question une fois, pour voir ? Quand on baigne dans l’eau, on est mouillé. Quand on baigne dans la société technicienne, il est effectivement plus commode d’en appliquer les us et coutumes, sous peine de se marginaliser et de se cogner sans cesse à la réalité sociale. C’est d’autant plus vrai qu’il reste de moins en moins "d’ailleurs" (en Ardèche ou dans les îles), où se réfugier. Il n’ y a plus d’en-dehors.
Pour conclure, vous rejetez en bloc tout ce qui affère aux nanotechnologies. N’avez vous pas une minuscule lueur d’espoir qu’effectivement cette science puisse permettre à l’homme de "corriger ses erreurs" ?
En fait je crois avoir trouvé la réponse en vous lisant : « On ne peut matériellement poursuivre une croissance infinie dans un monde fini. L’épuisement des ressources et l’accumulation des déchets, directement proportionnels au taux de croissance, sont des contraintes que nos "inventeurs du futur" feignent d’ignorer. Ou croient pouvoir dominer grâce à la course à l’innovation - chacune générant de nouvelles nuisances en prétendant corriger celles de la précédente. (...) Comme les accidents automobiles, qui contribuent à l’augmentation du PNB (garagistes, assurances, santé, pompes funèbres, constructeurs, etc.), les investissements dans les micro et nanotechnologies sont bons pour la Croissance. Certes ils engloutissent les crédits, ils "révolutionnent notre quotidien" sans nous demander notre avis, ils détruisent l’environnement, la vie sociale, la liberté individuelle, ils nous menacent de catastrophes, mais puisque c’est pour le "progrès de l’humanité", qu’attendons-nous pour leur attribuer des "significations d’usage positives" ? »
Mazette, qu’attendons-nous pour disparaître volontairement comme les partisans de l’extinction volontaire de la race humaine (voir l’interview de Les U. Knight, figure de proue du Voluntary Human Extinction Movement dans la Spirale).
Curieuse interprétation ! Loin d’en appeler à la disparition volontaire, le texte que vous citez dit exactement l’inverse : c’est le monde tel qu’il va aujourd’hui qui nous semble conduire, sinon à l’extinction de l’espèce humaine, au moins à son automatisation, à laquelle nous objectons. Ce qui est mortifère, c’est la fuite en avant des techno-sciences et de la consommation. Ceci dit, une réduction de la population via le contrôle des naissances est une condition nécessaire quoique non-suffisante, à l’allégement de la pression sur les ressources, et donc à la survie de l’humanité.
Retrouvez ce collectif d’anonymes technologiquement défiants sur Pièces & main d’oeuvre, leur site de bricolage pour la construction d’un esprit critique grenoblois.
Source : http://www.laspirale.org/texte.php?id=85
(Pour télécharger cet entretien, cliquer sur l’icône ci-dessous.)
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