Tous les chercheurs et responsables des nanosciences à Grenoble ou ailleurs, connaissent les Transhumanistes, la secte scientiste qui promeut les nanosciences au sein des cercles de pouvoir américains.
A notre tour découvrons-les, eux et leur projet pour l’humanité, afin de comprendre de quoi parlent nos technarques lorsqu’ils se lamentent sur le "retard" franco-européen dans les nano-bio-technologies.
un article de Dorothée Benoit-Browayes, journaliste de la revue "Vivant" (www.vivantinfo.com), ainsi qu’un préambule grenoblois.
Quoi que disent les communicants du Commissariat à l’Energie Atomique, de Minatec, NanoBio et du réseau Nano2Life, on avait compris que leurs projets de "changer en profondeur notre vie quotidienne" allait bien au-delà de la mise sur le marché de nouveaux gadgets électroniques (objets "communicants", écharpes "multimédia", frigos "intelligents"), de verres auto-nettoyants, voire de nouvelles armes ("poussières de surveillance", "carapaces" de fantassin, missiles "intelligents").
L’aiguillage vers les labos et les programmes de recherche en nanotechnologies de gigantesques flux de crédits ne vise pas seulement à s’assurer la suprématie lors du prochain cycle militaro-industriel. Il existe au-delà tout un courant fondateur et dominant des nano-sciences (Eric Drexler, Ray Kurzweil, Marvin Minsky, Hans Moravec, Mihail Roco, William S. Bainbridge, etc) qui, sous des noms divers : "cyborg", "successeur", "mutant", vise à l’avènement de l’homme-machine. Roboman, si l’on veut, censé être la version technoïde du surhomme nietzchéen. "Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap", déclare le cybernéticien Kevin Warwick ( Libération , 11-12/05/02). "Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur."
N’importe quel enfant pourrait dire à Warwick et à ses congénères que sa quête de la surhumanité par nano-processeurs aboutira à son contraire : l’automatisation du cheptel humain. L’asservissement assisté par ordinateur et les "technologies convergentes" (nano-bio-technologies, génétique, intelligence artificielle, robotique) d’une sous-humanité technifiée.
Les nanotechnologies ne donnent davantage de pouvoir qu’aux nanomaîtres : elles leur donnent le contrôle de l’immense masse des nano-serfs. Sous le terme "technique" de cyborg, c’est l’esclave, l’outil humain qui reparaît.
En Europe, à Grenoble, "ville des micro et nanotechnologies", les technarques du CEA, de l’UJF, de l’INPG ou de l’INRIA n’en disent pas si long. A quoi bon choquer les douairières progressistes qui, de la Ligue des Droits de l’Homme à l’Association Démocratie, Ecologie, Solidarité, couvent d’un œil bénin ces "recherches scientifiques" ? Tout au plus les verra-t-on un jour former des recours contre les nuisances collatérales de ces activités. Les nanotubes et nano-particules de carbone, particulièrement dangereux pour les organismes, semblent ainsi de bons candidats à une critique parcellaire d’accompagnement.
Cependant que toutes sortes d’"unités mixtes" et de "recherches multidisciplinaires" s’emploient à faire ce qui n’est pas dit, un mystérieux "comité d’éthique" s’occupe lui de taire ce qui est fait. "Bruxelles craint de répéter ce qui s’est passé avec les OGM, explique Patrick Boisseau. Le chercheur au Commissariat à l’Energie Atomique (NDR : Grenoble) coordonne le réseau Nano2Life sur les applications médicales des nanotechnologies. "Nous voulons informer le public sur les risques éventuels. Nous suivons plusieurs groupes de citoyens pour voir leur perception des nanotechnologies (...) le réseau a son propre comité d’éthique de dix membres, sans doute le seul au monde sur les nanotechnologies."
( Le Figaro , 13/05/04)
Et en novembre 2003, c’est Françoise Charbit, responsable du projet NanoBio au CEA Grenoble, qui tentait d’entraîner Doug Parr, un responsable de Greenpeace, dans un fructueux dialogue sur "l’impact sociétal des nanotechs" : "Dear Mr Parr, (...) I would be very grateful if you could send me some contacts related to societal and ethical impacts of nanotechnology, especially people who could be interested by the convergence with life sciences. The network of Excellence Nano2Life, coordinated by the CEA Grenoble and to be launched in 2004, considers these points with a great interest. (...) We would be also interested in exploiting your idea to introduce civil society views in the definition of upstream research. We have already some collaborations with hospitals for instance, but introduce nanotechnology benefits to patients themselves is rather far from now (...)" 1
Il semble que ce courrier électronique ait connu une diffusion plus large que prévue. N’importe, on a saisi la tactique du CEA et des laboratoires satellites. Passer sous silence, et quand on ne peut le faire, compromettre des idiots utiles dans le "dialogue" ; mettre en place un service de surveillance et de prévention, chargé de "suivre" d’éventuels opposants et de prévenir leurs critiques ; recruter des "lanceurs d’alerte" afin de les intégrer au système de détection avancée de Nano2Life, et de répondre aux objections mineures pour mieux les faire collaborer à l’objectif final.
On a vu ainsi tel opposant à une centrale nucléaire la connaître mieux que son directeur lui-même et signaler avec beaucoup d’application chaque incident, chaque faille de ladite centrale pour en améliorer grandement le fonctionnement, sans jamais rapprocher d’un jour sa fermeture.
C’est à ces filandreuses précautions qu’on mesure le "retard" comme disent Jean Therme (CEA Grenoble), Alain Mérieux (Biomérieux) ou Philippe Busquin (commissaire européen à la Recherche) de l’Europe sur les Etats-Unis dans le domaine des nano-bio-technologies. Là-bas, non seulement les crédits affluent sans restriction, mais une secte scientiste, les "Transhumanistes", infiltre les lieux de pouvoir avec un programme d’automatisation de l’humain. Nous aussi, comme Patrick Boisseau et Françoise Charbit, découvrons les transhumanistes et leur projet. Pour une première approche, ci-dessous une enquête de Dorothée Benoit-Browaeys, journaliste à "Vivant"2.
Grenoble, le 24 mai 2004
Aux abords du namomonde, les scientifiques entrevoient des possibilités techniques fascinantes : calcul quantique, électronique moléculaire, matériaux aux propriétés inédites ou médicaments pilotés... Tant mieux ! Mais attention ! Des mouvements “ transhumanistes ” infiltrent les nanosciences avec un impératif : doper les humains en intégrant les technologies disponibles, piloter les états mentaux et les foules. Sommes-nous partants pour ces usages ? Qui se mobilise pour débattre de ces projets politiques ?
Mikhail Roco est un rouquin plutôt timide, mais il ne fait pas dans l’ambiguïté : “ Le programme américain qui associe les nano-bio-info-cognitio-socio-technologies vise à améliorer les performances humaines, ses capacités d’apprentissage comme de défense ”, a-t-il affirmé lors du premier EuroNanoForum, organisé à Trieste (Italie), en décembre 2003, par la Communauté européenne. Mihail Roco est le coordonnateur de l’initiative américaine en matière de nanotechnologies, la NNI (National Nanotechnology Initiative).
Ses propos confirment le cap du volumineux rapport produit en juin 2002 par la National Science Foundation (NSF) et dont il fut coéditeur [1]. Désignant la nouvelle frontière par le sigle NBIC (Nanotechnology, Biotechnology, Information technology, and Cognitive science), il a l’avantage de préciser les ambitions des nanosciences outre-Atlantique. “ Ces technologies en convergence vont permettre l’unification des sciences et des techniques, le bien-être matériel et spirituel universel, l’interaction pacifique et mutuellement avantageuse entre les humains et les machines intelligentes, la disparition complète des obstacles à la communication généralisée, en particulier ceux qui résultent de la diversité des langues, l’accès à des sources d’énergie inépuisables, la fin des soucis liés à la dégradation de l’environnement ”, peut-on lire.
Interrogé sur les moyens à déployer et leur portée, Mihail Roco modère ses propos : “ nous ne voulons pas modifier l’intégrité humaine, ni contrôler les cerveaux ”. La question de la main-mise sur les capacités humaines est cependant posée. Car son collègue William Sims Bainbridge, coauteur du rapport NBIC, est un expert des idéologies. Sociologue des religions, ce dernier a étudié et infiltré divers groupes sectaires comme “ Children of God ” appelée aussi “ The Family ” ; il a développé des projets d’analyse des émotions et des croyances (Cyclone Project) et a publié plus de 15 ouvrages sur les religions, le contrôle social, les dimensions de la science fiction [2] avant d’être recruté par la NSF en 1999.
Aujourd’hui directeur de l’information et des systèmes intelligents de la fondation, son rôle dans la justification des NBIC est essentiel. À qui s’inquiète de l’avenir de la planète, il sait être rassurant : “ La science et la technologie vont de plus en plus dominer le monde alors que la population, l’exploitation des ressources et les conflits sociaux potentiels augmentent. De ce fait, le succès de ce secteur prioritaire est essentiel pour l’avenir de l’humanité. ” [1]
La réinvention de la nature
Pourquoi la NSF, puissante institution américaine qui emploie 1 360 personnes, confie-t-elle sa stratégie technologique à un spécialiste des phénomènes de manipulation mentale et d’adhésion des foules ? Serait-ce pour mieux anticiper d’éventuelles contestations de la société civile ? On ne peut l’exclure tant on constate l’implication de chercheurs en sciences humaines dans la promotion des technosciences et plus particulièrement des sciences cognitives. Patricia Churchland avec la neurophilosophie forgée autour du co-découvreur de la structure de l’ADN, Francis Crick [3], l’historienne Donna Haraway et son “ cyborg manifesto ” pour la “ réinvention de la nature ” [4] ou encore l’économiste Robin Hanson, entendent abolir les frontières entre le vivant et l’inerte, entre la machine et l’humain, entre le masculin et le féminin, et proclament qu’il faut construire des “ corps nouveaux ” pour une “ vie nouvelle ”.
Ce mouvement apparaît comme la suite logique des thèses cybernétiques pour lesquelles le réel et le virtuel se confondent par la réduction successive des objets physiques puis biologiques à des principes informationnels. Comme l’explique l’historienne américaine Lily Kay (Harvard), le code génétique est devenu après guerre le centre métaphorique de commande et de contrôle des êtres vivants [5]. Dans son ouvrage récent sur “ L’empire cybernétique ”, la sociologue Céline Lafontaine (Université de Montréal) précise : “ La cybernétique place non seulement les notions de communication et de contrôle au cœur de son projet, mais elle rend effectif le passage de la physique à la biologie en annulant toute distinction entre vivant et non-vivant. ” Avec les cyborgs, les biobots, “ on fait littéralement face à la mise en chair des métaphores cybernétiques (...) ”. Puis de commenter : “ Ce qui est oublié dans cette indifférenciation entre les êtres et les choses, c’est le fondement corporel inaliénable de toute vie terrestre. Le réductionnisme informationnel revient à nier que les êtres vivants sont d’abord des unités synthétiques indécomposables en segments codés. ” [6].
La culture par les automates mentaux
Le projet NBIC s’inscrit pleinement dans la mouvance cybernétique. Juste après guerre, celle-ci a procédé à la numérisation du monde, étendant ensuite son principe réducteur à l’information génétique (la biologie devint 100 % moléculaire) puis à l’information mentale avec la “ mémétique ”, transposition au monde cérébral du modèle informationnel a-corporel et a-temporel du gène, proposée en 1976 par l’évolutionniste britannique Richard Dawkins [7].
Il se trouve justement que William Bainbridge a publié en 1985 un livre intitulé “ Génétique culturelle ” [8]. Et il développe dans le rapport NBIC les perspectives de la mémétique (pp. 318 et suivantes) : “ Certaines idées peuvent avoir la force de "virus sociaux" aux effets aussi délétères que des virus biologiques ”, explique-t-il dans ce rapport. Il propose donc d’“ étudier la culture avec les méthodes de la bioinformatique ” et recommande une initiative analogue au projet Génome humain, le “ Human Cognome Project ”, pour “ comprendre et maîtriser les mystères du génome culturel ” [8].
On arrive ici au point culminant de cette nouvelle idéologie. Sa prétention est de décrire les “ automates mentaux ” de façon à les maîtriser puis les manipuler. Les courants de pensée deviennent des objets quantifiables. De même que l’on a abandonné la compréhension de la vie avec le gène, on abandonne celle de la pensée avec la neuroéthique (qui vise à localiser les aires de la morale ou de la religion) puis avec la mémétique. “ C’est seulement si nous renonçons à une explication de la vie au sens commun du mot que s’offre à nous une possibilité de prendre en compte ce qui la caractérise. ” estimait Niels Bohr. “ Dans la science moderne, la mathématisation de la nature s’est imposée comme une fin en soi ”, souligne le mathématicien Olivier Rey [9]. Mais avec elle, “ le monde n’est pas compris, il est mathématisé : par là il est fonctionnalisé mais il ne reçoit aucun sens. Au contraire tout sens lui est ôté : l’homme n’y trouve plus rien qui lui parle. ”
Davantage de technique, de moins en moins de sens
Avec le projet NBIC, on assiste donc à un effondrement, à un remplacement du réel par du “ quantifiable ”. Non limité aux phénomènes physiques, la prétention du modèle s’étend aux organismes vivants, aux cerveaux humains comme à leurs sociétés. On en arrive à confondre manifestation cérébrale mesurée par le débit sanguin capté par IRM (Imagerie par résonance magnétique) et expérience mentale. Avec pour corollaire de fausses équivalences : la douleur d’une personne, par exemple, est assimilée à la visualisation sur écran de son cerveau souffrant.
Dans ce tour de passe-passe, “ la science finit par constituer son propre remède à la crise qu’elle engendre en bouleversant les ordres anciens : une manière de supporter cette crise n’étant autre, en effet, que davantage de science, davantage de technique ”, poursuit Olivier Rey. “ Il ne peut en aller autrement quand, dans une large mesure, les présupposés de la technoscience se sont confondus avec les présupposés de la pensée tout court. ”Le monde fabriqué de la technique semble être le seul que ses promoteurs comprennent, comme le pressentait le philosophe Italien Giambattista Vico, qui constatait dès 1725 : “ Nous ne connaissons que ce que nous faisons. ” Parce qu’il est très opérationnel, ce système de réduction s’emballe. Le continuum “ nano-bio-info-cognitivo-sociologique ” apparaît finalement comme l’apothéose de l’impérialisme technique.
Certains scientifiques se complaisent à entretenir cet amalgame, en collaborant au “ neuromarketing ” ou aux expériences neuropolitiques de localisation cérébrale des “ zones de Bush ” ! [10]. Et l’on entend résonner ici les propos d’Hannah Arendt [11] : “ cet homme futur que les savants produiront comme un ouvrage de leurs propres mains paraît en proie à la révolte contre l’existence humaine telle qu’elle est donnée (...) La seule question est de savoir si nous souhaitons employer dans ce sens nos nouvelles connaissances scientifiques et techniques, et l’on ne saurait en décider par des méthodes scientifiques. ”
Y a-t-il un pilote dans les nanotech ?
L’expérience des OGM a montré que nos sociétés ne disposent pas d’outils appropriés pour arbitrer les choix techniques. Se posent donc aujourd’hui, avec les nanosciences, la question de savoir comment nous allons organiser la discussion sociale indispensable sur les applications souhaitées. Va-t-on reproduire les débats stériles et les invectives à propos d’analyses et de rapports strictement scientifiques ?
Le rapport dense et rigoureux produit en France le 29 avril 2004 par l’Académie des sciences et par l’Académie des technologies [12] a le mérite de poser les connaissances propices au débat. Mais en plaçant délibérément les nanobiotechnologies hors du champ analysé, toute l’interrogation centrale sur les connexions possibles entre le monde physique et le monde vivant (machines hybrides, prothèses nanométriques, pilotage cérébral...) est évacuée.
De même, le colloque “ Nanosciences et médecine du XXIème siècle ”, organisé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) le 6 février dernier, n’a fait que répertorier le potentiel, les enjeux économiques, les conséquences sociales. La question du pilotage de ces productions techniques n’est jamais discutée. Qui sonde les citoyens sur leur besoin d’“ améliorer leurs performances humaines ” ? Que reste-t-il de libre dans l’exercice politique qui ne soit pas arrimé à l’ambition technique ?
Les connexions du transhumanisme
L’enjeu de la discussion démocratique s’impose ici d’autant plus que le pouvoir scientifique et technique est de plus en plus relayé par un noyautage idéologique puissant, celui de la doctrine transhumaniste. Laquelle revendique l’utilisation libre des nouvelles technologies pour dépasser les limites du genre humain et améliorer ses capacités physiques et mentales : “ De meilleurs esprits, de meilleurs corps, de meilleures vies ”, proclame l’Association mondiale des transhumanistes (WTA). D’ailleurs, William Bainbridge, grand promoteur des NBIC au niveau national, est éditeur associé de la principale revue des transhumanistes, le Journal of Evolution and Technology (JET). Son article sur l’“ opposition religieuse au clonage ”, paru en octobre 2003, y souligne la nécessité d’anticiper sur les conflits violents entre “ religieux, ou ennemis des sciences ” et “ laïcs ” [13].
Ce mouvement transhumaniste est en plein essor dans le monde, appuyé par des réseaux où se signalent trois autres éditeurs du JET : le philosophe suédois Nick Bostrom, David Pearce, promoteur de l’“ impératif hédoniste ” qui proclame que “ le génie génétique et la nanotechnologie vont abolir la souffrance de toute vie sensible ”, et le secrétaire de la WTA, James Hughes. Des adeptes ont créé la revue Extropy (5 000 abonnés) - l’extropie ou l’extropianisme étant un dérivé du transhumanisme - et ont fondé d’autres associations internationales (l’Extropy Institute) et nationales (Aleph en Suède, Transcedo aux Pays-Bas) et le colloque bisannuel “ Extro ”.
Avec les transhumanistes, l’humain n’est plus destiné à devenir meilleur par l’éducation (humaniste), et le monde par des réformes sociales et politiques, mais simplement par l’application de la technologie à l’espèce humaine. “ Ancrés dans un véritable messiannisme de substitution, les transhumanistes sont dans leur immense majorité des libertaires anarcho-capitalistes convaincus des seules vertus du marché ”, explique le philosophe Klaus-Gerd Giesen (Université de Leipzig) [14]. Ils rejoignent ainsi les prophètes-managers des biotechnologies comme William Haseltine, fondateur de la société Human Genome Sciences et de la société de médecine régénérative, ou Gregory Stock (Université de Californie, Los Angeles), apôtre de l’amélioration génétique de l’homme par la technique [15].
Infiltrations
Les posthumanistes commencent à infiltrer des mouvements sociaux comme la Progress Action Coalition (Pro-Act). Ils sont aussi très actifs pour revendiquer le droit illimité aux “ neuroceutiques ” ou “ emoticeutiques ”, produits permettant de jouer sur les états mentaux. Le juriste Richard Glen Boire, au sein du Center for Cognitive Liberty & Ethics (CCLE) - organisation qui co-sponsorisait avec la NSF la récente conférence “ NBIC Convergence 2004 ” - est ainsi parfaitement connecté avec la “ Neurosocieté ” portée par Zach Lynch, un évolutionniste versé dans le marketing qui annonce la prochaine “ vague des neurotechnologies ” directement soutenue par des nanosystèmes implantés.
En Europe, les mouvements “ extropiens ” trouvent des soutiens au sein de l’industrie pharmaceutique. Celle-ci a bien entendu de gros intérêts à développer les marchés de la médecine régénérative, du dopage des facultés physiques comme intellectuelles par nanopuces ou thérapies cellulaires. Très présents dans les milieux intellectuels et éthiques parisiens, les extropiens défendent la libre disposition des corps, l’accès à tous les moyens techniques pour les manipuler . Ils ont réalisé un important lobbying auprès des députés lors de la révision des lois de bioéthique, en décembre 2003. Ils caricaturent tellement leurs arguments qu’ils semblent jouer le même jeu que les dénonciateurs de catastrophes... dont on retrouve d’ailleurs, chez eux, quelques figures ! Confirmant ainsi qu’“ éthiciens-prophètes de malheur ” et “ promoteurs de la mutation ” peuvent concourir au même but : occuper l’opinion à des broutilles.
Un bras de fer idéologique
Nul ne peut nier le riche potentiel d’innovations des nanotechnologies. Avec le foisonnement d’applications qui se profile, il serait dangereux de laisser les scientifiques, préoccupés de connaissance et de performance, se laisser déborder par les projets politiques transhumanistes. Pour piloter ces affaires, où sont les philosophes, sociologues, historiens, citoyens, capables de peser dans le bras de fer redoutable qui s’amorce ?
Après avoir défini sa stratégie en matière de nanotechnologie, dans un rapport qui vient d’être rendu public [16], l’Europe devrait produire dans les mois qui viennent une réponse au rapport américain NBIC publié voilà deux ans. Un groupe de travail, présidé par l’historienne norvégienne Kristine Bruland (universié d’Oslo) et coordonné par Élie Faroult à la direction générale de la Recherche de la Commission européenne, entend poser les enjeux sociaux et les risques pour la santé des nanotechnologies. Mais osera-t-il interroger les finalités des réarrangements de la matière et du vivant ?
Dorothée BENOIT BROWAEYS
Journaliste à Paris
©Vivant Editions
[1] M.C. Roco & W.S. Bainbridge (eds) “ Converging Technologies for Improving Human Performance. Nanotechnology, Biotechnology, Information technology and cognitive science ”, NSF/DOC-sponsored report, National Science Foundation, juin 2002, version pdf.
[2] R. Stark & W.S. Bainbridge (1985) The Future of Religion, Berkeley, University of California Press ; R. Stark, & W.S. Bainbridge (1987) A theory of Religion, New York, Toronto, Lang.
[3] B. Andrieu (1998) La neurophilosophie PUF, Paris.
[4] D.J. Haraway (1991) Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, New York, Routledge.
[5] L.E. Kay (2000) Who Wrote the Book of Life : A history of the Genetic Code, Stanford University Press.
[6] C. Lafontaine (2004)L’empire cybernétique, des machines à penser à la pensée machine Seuil, Paris.
[7] R. Dawkins (1976) The sellfish Gene, Oxford University Press, nv ed. 1989, trad. fr. Le gène égoïste.
[8] FW.S. Bainbridge (1985) “ Cultural Genetics ”, In : Religious movements, R. Stark (ed), New York, Paragon
[9] O. Rey (2003) Itinéraire de l’égarement. Du rôle de la science dans l ’absurdité contemporaine, Seuil Paris.
[10] J. Tierney, “ Neuromarketing Our Next President ”, New York Times, 20 avril 2004. Disponible sur le site du CCLE.
[11] H. Arendt (1961) La crise de la culture, réed. 1989 Folio Gallimard.
[12] Nanosciences - Nanotechnologies, Rapport sur la science et la technologie n°18, Académie des sciences, Académie des technologies, Tec&Doc, Paris, Introduction et principaux chapitres en version pdf.
[14] Observatoire de la génétique de Montréal, Transhumanisme et génétique humaine, N°16, mars-avril 2004.
[15] G. Stock (2002) Redesigning Humans. Our Inevitable Genetic Future, Boston, New York, Houghton Mifflin Compagny.
[16] Towards a European strategy for nanotechnology, Bruxelles, 12 mai 2004, COM(2004) 338 final.