Ouf !!! Les ressources fossiles ont beau s¹épuiser, la société industrielle a plus d¹un tour dans son sac. Et si l¹on manque bientôt de pétrole, gaz ou charbon, si l¹effet de serre bouleverse le climat ; nul besoin de réduire notre consommation énergétique car l¹échappatoire existe : La PAC ou la valorisation de l¹hydrogène comme source d¹énergie. Voici le nouveau dada des industriels, scientifiques et politiques grenoblois qui prétendent répondre une fois de plus par la technologie aux désastres écologiques. Ils s¹investissent donc dans ce secteur « innovant et écologiste », supposé subvenir à terme aux besoins énergétiques croissants sans achever la planète. Sous l¹apparente bienfaisance de ces initiatives, de nouvelles duperies : la pile à combustible, au bilan énergétique négatif, représente avant tout un nouvel eldorado pour le techno-gratin grenoblois, et s¹inscrit dans la fuite en avant technologique.
Celles et ceux qui lisent les organes de propagande des décideurs locaux (Métroscope, Isère Magazine, les nouvelles de Grenoble) ont pu remarquer le nombre croissant d’articles consacrés à une nouvelle technologie, dans laquelle s’investissent les collectivités locales : la pile à combustible.
Le principe ? Faire réagir, dans une structure adaptée [1] de l’hydrogène avec l’oxygène de l’air, ce qui produit de l’électricité.
Les prétendus avantages ? L’hydrogène est disponible en quantité illimitée. Le seul déchet produit est de l’eau. Pas de CO2. Pas de bruit.
Les perspectives ? des piles à combustible sont déjà utilisées occasionnellement (dans les fusées, par l’équipe de Jean-Louis Etienne au pôle Sud, dans des bus à Madrid ou Turin) mais des produits grands publics devraient arriver sur le marché d’ici quelques mois ou années, les prévisions variant selon les chercheurs. Paxitech, start-up essaimé du CEA-Grenoble, présente déjà des piles à combustibles pour alimenter des clôtures électriques, des lampes frontales ou des lecteurs DVD. On en parle aussi pour l’équipement des voitures du futur. « Actuellement, trois marchés à court terme sont susceptibles de s’ouvrir. Ils iraient du petit portable (400 W à 10 kw) pour les chargeurs de batterie, des groupes électrogènes ou encore des relais de téléphonie mobile, en passant par des transports publics (de 50 kw à 400 kw) pour arriver dans les applications stationnaires (plus de 10 kw) pour les logements collectifs et les entreprises. » [2]
Le centre de développement le plus en vu ? Grenoble, une fois de plus. Comme nous l’explique Isère magazine : « Grenoble, qui vient d’accueillir la Conférence internationale de l’hydrogène, a été choisie comme pôle national pour développer la PAC »
Comment en est on arrivé là ?
Le principe de la Pac est connu depuis 1839, mais son usage n’a jamais été développé à cause des obstacles de miniaturisation et de coûts. Jusqu’à récemment, elle ne fut employée que dans des cas bien précis (dans les fusées). C’est à partir des années 1980, devant les premiers constats de la réduction des réserves d’énergies fossiles, que des scientifiques (d’abord aux Etats-Unis puis en Europe) commencent à voir en elle l’énergie du futur.
En France, les recherches restent confidentielles jusqu’à la création, en juin 1999, du réseau Paco. Objectif : « favoriser le couplage sur les technologies de la pile à combustible entre la recherche publique et les entreprises afin d’assurer une réussite industrielle. » Pour ce faire, plus de 10 millions d’euros d’argent public serait investi chaque année. Ce réseau a aussi pour but de « favoriser la création d’entreprises dédiées à la PAC » . D’où la création de cinq structures, dont 2 à Grenoble (Axane et Paxitech).
Grenoble éclot, à partir de 1994, comme pôle de développement de la PAC, grâce au positionnement de nombreux acteurs (Air Liquide, Schneider Electric, EDF-GDF, CEA-Grenoble, INPG). Qui seront rejoints donc par :
– Axane, implantée à Sassenage, a été crée en 2001 par Air Liquide, dont elle est une filiale à 100%. Elle a pour stratégie de développer des petits générateurs pour des applications secours. Elle regroupe aujourd’hui trente salariés et est dirigée par Patrick Saglan.
– Paxitech est la « première start-up du domaine des nouvelles technologies à bénéficier de la politique d’essaimage du CEA. » . Crée en 2003 et implantée à Claix, elle est dirigée par Renaud Musdale.
Ces différents acteurs permettent à Grenoble de s’insérer dans le grand projet européen de développement de l’hydrogène, Hychain, mêlant des acteurs privés et publics français (la Métro, le Conseil général de l’Isère, la région Rhône-Alpes), italiens (Modène), espagnols (Castillà) et allemands (Ruhr et Westphalie). « Il coûte 45 millions d’euros, auquel le conseil général participera à hauteur de 500 000 euros, tout comme la Metro. » [3].
Fort de ces atouts, le CEA-Grenoble, décide de lancer le projet Paclab, le centre d’excellence européen sur les piles à combustible pour les transports propres. N’ayant pas encore réellement vu le jour, il a pour ambition de « fédérer les forces de recherche, de développement technologique et de formation au service du déploiement industriel des piles. ». Il s’appuie sur ce qui fonde l’économie grenobloise, à savoir la fameuse liaison recherche-industrie. Au cœur du projet, il y a donc [4] :
– La formation : l’INPG crée ainsi des programmes spéciaux et dope son laboratoire électrochimique.
– La recherche et développement : le Liten du CEA (Laboratoire d’innovations pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux) est le principal regroupement de compétences en France dans le domaine des nouvelles énergies
– Les acteurs industriels exploitants (EDF, GDF, GEG, Isergie, SMTC, Semitag) ou fournisseurs de technologies (Air Liquide, Axane, Schneider, Paxitech)
– Les collectivités locales, « qui ont montré, avec Minatec leur capacité à mener des grands projets en commun. »
Paclab, dans le but de promouvoir la PAC, veut concentrer ses efforts autour de 4 grands axes :
– formation intiale et continue avec l’INPG et l’INSTN et des lycées techniques grenoblois.
– recherche de base avec le CEA et d’autres labos grenoblois
– développement technologique avec la réalisation à Grenoble de démonstrateurs pilotes.
– communication et sensibilisation : grandes opérations de démonstration qui « visera le grand public sans l’adhesion duquel la filière hydrogène ne pourra pas s’imposer. »
On reconnaît ici facilement la « culture grenobloise » dans la connivence entre scientifiques, industriels et politiques de tous bords pour exploiter ce filon comme cela s’est fait pour d’autres (électricité, chimie, nucléaire, micro, bio ou nanotechnologies).
En fait, il y a trois raisons de critiquer les investissement dans la PAC.
Bilan écologique négatif
Primo , Si le fonctionnement même d’une pile à combustible n’entraîne que très peu de pollution, l’obtention d’hydrogène est par contre très énergivore.
Il y a certes plethore d’hydrogène sur notre planète. Mais cet hydrogène se trouve principalement dans la nature sous forme d’oxyde, (H2O, l’eau qui nous entoure), ou d’hydrocarbures (qui contiennent du carbonne, de l’hydrogène et plus ou moins d’oxygène). Pour disposer d’hydrogène, il faut donc casser les molécules pour ne garder que l’hydrogène. Plusieurs solutions existent :
A) A partir de l’eau, par électrolyse [5]. Le problème ? cela nécessite de... l’électricité . Et pas qu’un peu : pour produire 1g d’hydrogène il faut 82,4 Watt par heures (Wh). Pour remplacer les 20 millions de tonnes d’essence et 20 millions de Gazole consommés par an en France, il faudrait 1130 millions de milliard de watts pas heure (TWh) alors qu’actuellement la consommation d’électricité est de 450 TWh. Il faudrait donc construire 160 nouvelles centrales nucléaires. Bien qu’il ne soit pas question de substituer totalement les carburants fossiles pour l’instant, il apparaît que si la PAC venait à prendre de l’importance, il faudrait multiplier le parc de centrales nucléaires et leurs conséquences (déchets, risques, cancers...). Par ailleurs, il faudrait réaliser les électrolyseurs pour lesquels des problèmes techniques sont encore à résoudre, notamment celui des électrodes.
B) A partir de l’eau, par décomposition de la molécule d’eau gràce à un apport de chaleur à haute température. Le problème ? la production de cette chaleur à haute température nécessite pour l’instant de brûler des combustibles fossiles et donc d’émettre des gazs à effet de serre, ce qu’il faudrait justement éviter.
– A partir d’hydrocarbures par méthode chimique. Le problème ? une tonne d’hydrogène fabriquée rejette onze tonnes d’oxyde de carbonne (CO2) dans l’atmosphère et 15 si l’on inclut les résidus. Rejets de CO2, donc augmentation de l’effet de serre et ses conséquences (réchauffement climatique, trou de la couche d’ozone...).
L’obtention d’hydrogène, quelle que soit la méthode employée, nécessite donc beaucoup d’énergie ou provoque des rejets de CO2, ce qui annule l’interêt écologique de la PAC. En outre, des études montrent que le remplacement du pétrole par l’hydrogène représenterait un danger pour la couche d’ozone stratosphérique.
« Les auteurs d’une étude du Jet Propulsion Laboratory et du California Institute of Technology supposent que, vu les imperfections des technologies de production et d’acheminement des gaz légers, il y aurait une déperdition de 10% à 20% de l’hydrogène utilisé en remplacement des énergies fossiles. Les quantités d’hydrogène ainsi relâchées dans l’atmosphère représenteraient entre 60 et 120 millions de tonnes. Selon les auteurs de l’étude publiée par Science, de tels apports bouleverseraient les équilibres chimiques des hautes couches de l’atmosphère, contribuant à une augmentation de la concentration de la vapeur d’eau stratosphérique et au refroidissement des plus hautes régions du ciel terrestre. D’où des réactions de transformation de composés bromés et chlorés inactifs, en molécules néfastes pour l’ozone. » [6]
Ce risque, nuancé par d’autres études, a cependant de quoi laisser pantois et dubitatif face à l’enthousiasme monolithique des acteurs investis dans la PAC.
Nouvel eldorado
Deuxio on voit une nouvelle fois le techno-chauvinisme des collectivités locales grenobloises dans ces projets. Foin des prétendus avantages écologiques ! Les motivations réelles sont la création d’emplois et l’image.
La communication locale nous le rabâche : l’important dans les investissements des collectivités locales, ce n’est pas leur bien fondé mais leur capacité à créer des emplois et donc à soutenir la croissance
« Le conseil général, en accord avec le CEA-Grenoble, a choisi de produire de l’hydrogène selon des modes de production propres ne faisant pas appel aux énergies fossiles : à partir de la biomasse, bois, déchets verts, ou par l’électrolyse de l’eau en aval des centrales hydroélectriques. Deux filières qui, à terme, soutiendront l’activité économique de notre département. » [7]
Second critère déterminant, l’image. De la ville, de l’agglomération, du département. Tous ces investissements dans une technologie « propre » ne se font pas dans la simple et noble intention de « sauver la planète » mais avant tout parce que « les conditions sont réunies pour l’épanouissement d’une initiative dans le domaine de l’hydrogène qui fasse de Grenoble la capitale européenne de l’énergie. » [8] .
Etre une référence en micro, bio ou nano technologies ne suffit pas aux technarques. Grenoble doit viser plus et rafler le rôle de leader aussi dans le secteur de l’énergie. Toujours plus d’ingénieurs et de chercheurs, toujours plus d’argent investi, toujours plus d’auto congratulations sur le dynamisme grenoblois.
Avec la PAC comme avec les nano, ce qui intéresse le techno-gratin ce n’est pas de faire quelque chose d’utile et nécessaire, mais de valorisant . La vraie question de base est : quelle nombre de retombées médiatiques peut on espérer d’un investissement dans la PAC ?.
Le projet ambitieux, appelé « Hychain » [9] est aussi et surtout un enjeu économique pour l’agglomération grenobloise. Les élus ne s’en cachent pas : « Nous voulons réussir cette étape d’industrialisation et positionner l’Isère dans la filière industrielle de l’hydrogène au niveau européen. » précise ainsi Serge Revel [10].
A noter que Serge Revel, ardent promoteur de la PAC, est un des trois élus « écologistes » (ou tout du moins « Vert ») au conseil général et qu’il y figure en bonne place, au poste de vice-président chargé du développement durable, de l’environnement et du shéma départemental des déchets.
On voit l’importance de son rôle dans un Conseil général, qui comme les autres collectivités locales, se met aux nouvelles règles du capitalisme vert. Où le « développement durable » légitime la domination de l’économie. La vie en vert facilite la poursuite des destructions et attribue les causes à l’irresponsabilité des citoyens. Avec la PAC, le Conseil Général réussit une fois de plus à se donner un beau rôle. Ce qui est loin de réfleter la réalité de la portée de ses actions.
Fuite en avant technologique
Tertio et non des moindres, la PAC perpetue elle aussi la fuite en avant technologique, afin d’esquiver le problème de l’énergie. Le principe de la pile à combustible a beau être relativement simple, elle n’est toujours pas commercialisée à grande échelle car un certain nombre de verrous technologiques subsistent (miniaturisation, abaissement des coûts). Ce qui signifie bien que son utilisation implique un haut degré de technicité et de spécialisation dans la société. En clair, il est peu probable que l’on puisse réparer soi-même son moteur à pile à combustible et encore moins qu’on puisse aller le recharger en hydrogène chez le garagiste du coin. La mise en place d’un réseau de distribution d’hydrogène implique de nombreux enjeux financiers et sécuritaires, et nécessite une organisation « industrielle et étatique » de la société. Ainsi, la PAC poursuit cette même logique de « Recherche et développement », qui ne vise pas à nous donner plus d’emprise sur nos existences, mais au contraire à nous rendre plus dépendants du système technicien.
Tout le monde est d’accord : « la planète brûle » [11] . . Une question reste cependant : comment éteindre le feu ?
Nombreux sont les pompiers-pyromanes du développement durable. Les promoteurs de la PAC, malgré tous leurs beaux discours, en font partie. Car la réalisation de la PAC et les discours qui l’entourent ne tendent qu’à permettre aux gaspillages énergétiques de se perpétuer.
Aucune technologie ne peut résoudre des problèmes politiques. La PAC, qui n’est pas une technologie plus verte qu’une autre, peut tout au plus offrir un nouveau marché à l’appétit du techno-gratin. Elle prend en tous cas le chemin opposé à celui d’une nécessaire décroissance .
On n’éteint pas un feu en lui soufflant dessus. Il faut avant tout chercher à se débarasser des incendiaires.
[1] Structure qui doit être composée de deux électrodes séparés par un électrolyte.
[2] Dauphiné Libéré, 26 décembre 2001
[3] Daubé du 28 février 2005
[4] Les clefs du CEA, Hiver 2004 2005
[5] L’électrolyse de l’eau consiste à séparer l’oxygène et l’hydrogène en faisant passer un courant électrique dans de l’eau.
[6] Le Monde, 7 mai 2004.
[7] Isère magazine
[8] Nicolas Bardi, Avec Paclab, la région grenobloise peut viser un rôle de leader dans les PAC, in Les Clefs du CEA, Hiver 2004-2005.
[9] voir plus haut.
[10] Dauphiné libéré, 11 décembre 2004.
[11] Jacques Chirac, in his own words