Aurélien Delsaux, enseignant au lycée Hector-Berlioz de la Côte-Saint-André (Isère) proteste contre l’instauration d’un contrôle par badges et vidéo-surveillance à l’entrée de son établissement.
Voici la tribune qu’il nous adresse et le texte d’une pétition à signer ici : https://www.change.org/p/laurent-wauquiez-b%C3%A9atrice-berthoux-pas-de-portique-wauquiez-devant-mon-lyc%C3%A9e?recruiter=171757259&utm_source=share_petition&utm_medium=email&utm_campaign=share_email_responsive
Pour l’entrée des hommes libres
par Aurélien Delsaux, professeur de français au lycée polyvalent Hector-Berlioz à la Côte Saint-André (Isère), et écrivain.
Mercredi après-midi, mes collègues et moi avons appris que Madame notre Proviseur avait une réunion avec des représentants de la Région pour prévoir l’installation de « portiques » à l’entrée du lycée - suite à la décision de M. Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes de tester ces installations dans 14 établissements (dont 3 en Isère).
Ces portiques seraient constitués de tourniquets que chacun ne pourrait actionner qu’à l’aide de badges ; ils seraient également dotés de caméras de surveillance.
Nous avons été étonnés de la promptitude de la Région : voilà bientôt 10 ans en effet qu’on nous promet une « restructuration » qui ne voit toujours pas le jour. On nous a même refusé de boucher les inégalités dangereuses de l’esplanade d’entrée - au motif que lors de cette future « restructuration », de gros camions passeraient là, cassant tout.
Et, en urgence, sans même que le CA soit consulté, on nous annonce donc ces portiques.
Cette promptitude, c’est pour notre bien. C’est pour notre sécurité.
En matière de sécurité, on imagine que de tels portiques dissuaderont sans doute autant de potentiels assaillants que la menace d’une déchéance de nationalité.
Qu’importe : l’heure est aux symboles, nous dit-on.
Soit. Mais de quoi ces portiques - ces tourniquets, ces badges, ces caméras - sont-ils le symbole ? A mon sens, ni plus ni moins de la fin de l’Ecole comme lieu de l’émancipation. Entrer dans un lycée, c’est faire un pas de plus vers sa condition de citoyen libre. Or, c’est dans un tout autre état d’esprit que nous mettent badges, tourniquets et caméras. En sus du formidable dressage social que promet l’habitude dès l’adolescence d’une « pointeuse », badges, tourniquets et caméras nous placent d’emblée, que nous le voulions ou non, dans la désagréable position non de futurs citoyens libres, mais de potentiels suspects. Et nous y habituent.
On songe avec comique à la résonance qu’aura désormais au lycée un cours sur une page de 1984 d’Orwell - sous l’oeil même de Big Brother. Mais l’Ecole de la République en est-elle à une contradiction près ?
On songe avec un comique plus amer qu’à notre dernière demande d’un surveillant supplémentaire, nous avons essuyé un refus sec du Rectorat (sur la base d’un nombre de surveillants par élève, sans tenir aucun compte de l’immense dédale de nos locaux). On nous refuse un surveillant et on nous installe un portique. Cherchez l’erreur.
C’est trop pour moi : je ne franchirai pas ces « portiques Wauquiez ».
Je ferai le mur, ou je démissionnerai.
Car plutôt qu’un symbole, j’y vois un symptôme : celui d’une République qui ne croit plus assez en elle-même, celui d’hommes qui préfèrent s’endormir sous la surveillance de l’Oeil technique.
Oh, bien sûr : que craindre ? Les braves gens, les bons citoyens, ceux qui n’ont jamais rien à se reprocher : pourquoi s’offusqueraient-ils des caméras ?
C’est qu’il faut comprendre qu’on est bon citoyen et qu’on n’a jamais rien à se reprocher que tant qu’un régime républicain règne. Que deviendront de tels outils entre les mains d’un régime moins républicain encore que le nôtre, plus autoritaire, fascistoïde sinon fasciste ?
Impossible ? Ne sent-on pas suffisamment ce spectre aujourd’hui hanter
l’Europe ?
Pour notre jeunesse et pour nous-mêmes, c’est à dire pour aujourd’hui
et pour demain, cessons vite de renoncer à ce que nous, Français, selon
notre véritable identité, sommes : des hommes libres.
Pétition
Laurent Wauquiez, nouveau président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, veut, au nom de la sécurité, installer des "portiques" à l’entrée des lycées : 14 lycées "tests" seront bientôt concernés - dont 3 en Isère : à Moirans, Vienne, la Côte Saint-André.
Ces "portiques" seront constitués de tourniquets à badger et de caméras de vidéo-surveillance.
Nous, signataires, considérons que cette mesure coûteuse (20 millions d’euros) est inefficace et contraire à l’esprit même de l’Ecole.
Nous, signataires, considérons qu’on entre dans un lycée pour y devenir davantage un citoyen libre - non pour y être considéré d’entrée comme un potentiel suspect.
Ce dont nos lycées ont besoin, c’est de moyens humains : de davantage de surveillants, de davantage d’éducateurs. S’en remettre à la technique et à Big Brother pour protéger nos enfants, leur inculquer dès leur formation le dressage social que constituent "pointeuse" et caméras, c’est renoncer à en faire des êtres libres.
NON À L’INSTALLATION DES PORTIQUES WAUQUIEZ !
OUI À DAVANTAGE DE MOYENS HUMAINS ET À LA RÉNOVATION DES LYCÉES QUI EN ONT BESOIN !
Lire aussi :
– RFID : la police totale. Puces intelligentes et mouchardage électronique, Pièces et main d’oeuvre (éditions l’Echappée, 2008)
– Au doigt et à l’oeil
– No-TICE pour le collège