Dénonciation d’une campagne de propagande en faveur des nécrotechnologies.
"Dans le tumulte mondial de cette rentrée scolaire, les Centres de Culture Scientifique, Technique et Industrielle en région Rhône-Alpes et tous ceux qui contribuent dans la culture, dans l’éducation, à faire reculer l’ignorance et l’obscurantisme, considèrent leur mission avec une acuité renforcée."
(A Découvrir, lettre du CCSTI, n°45 nov-déc 2001).
Avec cette vertueuse déclaration le CCSTI de Grenoble a entamé le 17 octobre dernier un cycle de conférences intitulé "La génétique en questions", dans le cadre de son programme "Génome mode d’emploi". Louable intention, quoiqu’on décore du terme de génétique ce qui n’est le plus souvent que biologie moléculaire - soit la différence entre géographie et conquête du territoire.
Le CCSTI et ses partenaires invitent le citoyen à "questionner la science". Questionnons, donc.
Pourquoi ne présenter dans ce cycle de conférences que des apologistes des biotechnologies, en oubliant soigneusement ceux qui contestent les bienfaits supposés des OGM et de la transgenèse, des thérapies géniques, du clonage, du brevetage et de la marchandisation du vivant ?
Pourquoi inviter Jean-François Briat, chercheur à l’INRA Montpellier, qui vante le "formidable progrès pour la santé publique et l’environnement que pourrait représenter une transgenèse convenablement maîtrisée" (Le Monde, 18 avril 2001), alors que pour le même tarif SNCF on pourrait recevoir Jean-Pierre Berlan, chercheur à l’INRA Montpellier, qui estime que "c’est une chimère de penser que les OGM permettront de nourrir la planète en respectant l’environnement" (J.P Berlan et alii, La guerre au vivant, Editions Agone) ?
Aussi louche : pourquoi le CCSTI ne présente-t-il ses orateurs que sous l’étiquette "recherche publique" (ENS Lyon, INRA, CHU, etc), en cachant la participation de certains à des entreprises privées ? Ainsi Jean-Luc Darlix ("Les virus et leur utilisation en thérapie génique", le 19/12/01), est non seulement directeur du laboratoire de Virologie Humaine à l’ENS Lyon mais également conseiller scientifique de TRANSGENE, société "biopharmaceutique" cotée au Nasdaq. Ce qui lui donne une vision toute objective des bénéfices de la thérapie génique.
L’explication de ces mensonges par omission se trouve dans la liste des partenaires de "Génome mode d’emploi" (budget : 1,8 millions de francs) : les collectivités locales bien sûr (Région, Département, Métro, Grenoble Pôle Européen Universitaire et Scientifique, Ville de Grenoble) un ministère (celui de la Recherche), mais surtout des organismes et des boîtes voués aux biotechnologies : Génopole Rhône-Alpes, CEA, INRIA, ARTEB (Agence Rhône-Alpes pour le développement des Technologies médicales et des Biotechnologies), ABPG, ADEBAG (Association de Développement des Biotechnologies sur l’Agglomération Grenobloise), Université Joseph Fourier, Génome Express, Protein’eXpert.
Pour mémoire, la mission de la Génopole Rhône-Alpes est de "Promouvoir le développement d’une industrie biotechnologique forte soit par l’émergence de start up soit par l’attraction de sociétés établies". L’ADEBAG, elle, pilote le projet Biopolis à Grenoble : une pépinière d’entreprises financée sur fonds publics pour aider des start up biotech à générer des profits privés, égalant les prouesses de Génome Express et Protéin’eXpert.
Inutile d’attendre de tels partenaires qu’ils laissent la moindre parole à ceux qui - scientifiques ou non - contestent leurs malfaisances. Mais voilà ce que le CCSTI entend par "faire reculer l’ignorance."
Si le CCSTI (1 place Saint-Laurent 38000 Grenoble Tél. : 04 76 44 30 79 - www.ccsti-grenoble.org) était autre chose qu’un office de propagande des techno-industriels grenoblois, il nous mettrait en garde contre l’intox génétique en posant les vraies questions :
– Comment les multinationales mettent la main sur l’agriculture et sur notre alimentation au mépris des paysans, du principe de précaution et des règles les plus élémentaires de l’expérimentation scientifique.
– Comment le génie génétique est devenu l’autoroute pour faire carrière, pomper des subventions et lever des fonds en Bourse en faisant miroiter de faux espoirs.
– Comment en dévoyant l’argent de la recherche au profit du "tout génétique" on élimine une vraie politique de santé axée sur la prévention et sur la proximité avec les malades.
– Comment on choisit d’adapter génétiquement les individus à un environnement pathogène (sites Seveso, trafic routier, déchets nucléaires, malbouffe, stress et maladies du travail, etc) plutôt que de supprimer ce dernier.
– Comment on fait trimer des infirmières et des aides soignantes sous-payées (cf Daubé, 17 et 18/12/01), comment on laisse crever les centres de santé de Grenoble et l’hôpital de la Mure au profit de Génopoles esbrouffants.
Pour répondre, le CCSTI pourrait solliciter, outre Jean-Pierre Berlan déjà cité, Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire, qui nous expliquerait pourquoi "nous ne pouvons plus croire qu’un développement technique constitue mécaniquement un progrès pour l’humanité" (La guerre au vivant, op. cité). Ou Jacques Testard, biologiste directeur de recherche à l’Inserm, afin qu’il expose comment "la terre a été transformée en champ d’expérimentation avant même que la faisabilité du projet les OGM eût été démontrée" (Libération, 7 décembre 2001).
Ou encore Jean-Marie Pelt, professeur bien connu de biologie végétale et de pharmacologie. Celui-ci pourrait détailler - comme il l’a fait récemment dans une conférence dont le CCSTI n’était pas l’organisateur - pourquoi "le génie génétique est une idéologie et les biotechnologies sont le Veau d’Or", comment "le monde de la recherche est empêtré dans la finance" ou bien pourquoi "il n’est pas sain que tous ces scientifiques soient payés par des laboratoires privés" (extraits de sa conférence à Alpexpo le 26 novembre 2001).
Mais qu’attendre d’un Centre de Culture Scientifique et Technique auquel on a opportunément rajouté le qualificatif d’"Industrielle" en 2000, sinon la promotion de l’industrie locale saupoudrée de bla-bla éthique pour berner les nigauds ? Quant à la présence dans son Conseil d’Administration d’élus "écologistes" et "citoyens" (Vincent Comparat, Cécil Guitard), aux côtés d’autres technocrates du CEA, du CNRS, de STMicroelectronics, elle ne rassure que ceux que réconforte la présence d’un Axel Kahn - biologiste vendu à Aventis - au sein du Comité National d’Ethique. On savait que Vincent Comparat n’était "pas contre le nucléaire" (L’Essentiel de Grenoble, 04/10/00), on constate maintenant que ni lui ni son collègue ne sont "contre les biotechnologies."
Rappelons à propos que le CCSTI est financé à plus de 85 % par des fonds publics (budget 2000 : 7,75 millions de francs). Qui dit financement public dit intérêt général, et non propagande pour les intérêts de la caste techno, fût-elle représentative du "laboratoire" grenoblois si cher à nos édiles. L’intérêt général, ce n’est pas Jean-François Mouret, de Génome Express (qui vient de lever 81 millions de francs auprès d’un pool de sociétés de capital-risque pour son business de séquençage d’ADN), qui va nous l’expliquer.
En somme, via le CCSTI, les mêmes qui font leur beurre dans les bio-(nécro)-technologies se servent de notre argent pour nous dire ce qu’il faut en penser.
Ceci dit la manip’ ne constitue qu’une goutte de plus dans le lavage des cerveaux. Ainsi le Train du Génome d’Aventis et de l’Institut Pasteur parrainé par le Figaro Magazine et France Bleu, et inauguré par la Mairie de Grenoble, a vu défiler 7000 lycéens traînés par leurs profs le 13 novembre dernier. Le Daubé de son côté ne manque jamais de féliciter le CCSTI pour son "excellente initiative" et de vanter les réussites biotech grenobloises, sans jamais poser la moindre question critique. Et "Génome mode d’emploi" prévoit encore une "Ecole de l’ADN" : "série d’ateliers de pratique des biotechnologies pour tous, spécifiquement pour les lycéens, les étudiants et les professionnels de la santé", ainsi qu’une expo itinérante dans l’agglo. Afin que nul ne soit épargné.
Cependant la Métro s’apprête à voter le co-financement de Biopolis (40 millions de francs), sans que les simples citoyens n’aient jamais eu le moindre mot à dire à ce sujet. Qu’on ne compte pas sur le CCSTI pour nous alerter sur l’implantation de cette usine à gènes à La Tronche en zone inondable, ni sur la participation à ce projet du CRSSA, Centre de Recherche du Service de Santé des Armées spécialisé dans les armes biologiques et bactériologiques (CRSSA : 24 avenue des Maquis du Grésivaudan, 38700 La Tronche. www.defense.gouv.fr/sante).
Et qu’on ne compte pas davantage sur la FRAPNA, Les Verts ou l’ADES pour s’y opposer, eux qui depuis deux ans n’ont rien trouvé à dire contre ce désastre écologique et démocratique.
Dans la lutte pour "faire reculer l’ignorance et l’obscurantisme", le CCSTI est nuisible. Le civisme, dans les laboratoires ou à l’extérieur, consiste à produire l’information pour la mettre à la disposition de tous.
Les seuls combats perdus d’avance sont ceux qu’on ne livre pas.
Bibliographie sommaire
* Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et La dégradation des espèces (Editions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1999)
* Déclaration sur l’agriculture transgénique et ceux qui prétendent s’y opposer, René Riesel (Editions de l’Encyclopédie des Nuisances)
* Aveux complets des véritables mobiles du crime commis au CIRAD le 5 juin 1999, René Riesel (Editions de l’Encyclopédie des Nuisances)
* La guerre au vivant, Jean-Pierre Berlan et alii (Editions Agone, 2001)
* OGM : le vrai débat, Gilles-Eric Séralini (Editions Flammarion, 2000)
* Plantes et aliments transgéniques, Jean-Marie Pelt (Editions Fayard, 1998)
* L’Ecologiste, revue trimestrielle, n° 1 à 5