Les technocrates nous diront comme d’habitude que le risque zéro (alias dysfonctionnement, effet pervers, etc) n’existe pas. Nous vous disons qu’à partir du moment où l’on développe les nanotechnologies, on crée les pollutions et les accidents nanotechnologiques.

La revue médicale en ligne Ebiomedicine vient de publier un article intitulé « Des nanotubes de carbone anthropogènes trouvés dans les voies respiratoires d’enfants parisiens » (Anthropogenic Carbon Nanotubes Found in the Airways of Parisian Children).(1)

Ayant étudié les poumons d’enfants parisiens asthmatiques, et trouvé des nanotubes de carbone dans tous les échantillons examinés, les neuf auteurs américains et français concluent : « Ces résultats suggèrent fortement que les humains d’aujourd’hui sont exposés de façon routinière aux nanotubes de carbone provenant de sources anthropogènes. »

À Paris, et sans doute dans toutes les villes, nous respirons des nanotubes de carbone issus de la pollution industrielle. C’est la moindre des choses, puisque ces nanoparticules infestent tous les écrans électroniques, les pneus, les cadres de vélo modernes et de multiples marchandises.

Rappel aux nouveaux venus : dès 2004, nous avons signalé les inquiétudes des toxicologues à propos des nanotubes de carbone, qui provoquent des effets semblables à ceux de l’amiante. À l’époque, les rats exposés à ces nanoparticules dans les labos de la Nasa, de la Rice University ou de l’industriel DuPont, et les lapins de chez L’Oréal ne faisaient pas de vieux os et présentaient, nous disait-on « des lésions atypiques ».(2)

À l’époque, Louis Laurent et Jean-Claude Petit, du département de recherche sur l’état condensé, les atomes et les molécules (Drecam) du Commissariat à l’énergie atomique, s’étaient fendus d’une « réflexion » destinée à contrer les luddites, intitulée : « Nanotechnologies : nouvel Age d’or ou Apocalypse ? »(3)

Mesurez la profondeur de la « réflexion » : « La structuration à l’échelle nanométriques est la règle depuis que l’Homme utilise des matériaux : le bois, les textiles naturels, les os, les roches, le ciment. De même la plupart des aliments que nous ingérons sont structurés à l’échelle moléculaire !
Les nanoparticules errantes ne nous sont pas non plus étrangères. Elles sont générées par la nature en centaines de millions de tonnes par an (embruns, volcanisme, poussières désertiques) mais aussi par l’industrie, par exemple le noir de carbone (production de 8 millions de tonnes par an) ou le dioxyde de titane (2 millions de tonnes par an) et la combustion (dizaines de millions de tonnes par an), en particulier celle qui a lieu dans les moteurs qu’ils soient diesel ou à essence. D’une certaine façon, tout processus de combustion est de la nanotechnologie ! (…) On ne peut donc diaboliser un produit sous prétexte qu’il est associé au préfixe « nano ». »

À l’époque, lorsque nous interpellions les nanocrates lors de leurs conférences, ils répondaient avec un large sourire : « Mais les nanoparticules existent depuis la nuit des temps ! Elles sont présentes dans les peintures des Mayas, les vitraux et dans les fumées de diesel, c’est vous dire s’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. » On cite de mémoire Jean-Louis Pautrat, le premier VRP des nanotechnologies envoyé par le CEA pour séduire les foules. Le physicien Pautrat, chargé de la communication de Minatec, nous traitait d’obscurantistes dans Télérama. (4) Il n’a pas écrit la suite de son ouvrage de propagande Demain le nanomonde. Dommage. Le nanomonde, nous y sommes, et il ne dément aucune de nos alertes depuis plus d’une décennie.

En 2004, les chercheurs assénaient cet argument-massue : les nanoparticules ne sont pas plus dangereuses que les particules fines du diesel. Dans le même temps, en bons cyniques scientistes, ils vantaient devant les autorités susceptibles de les subventionner l’intérêt des nanoparticules… pour limiter la pollution des moteurs diesel. Les marchands de mort de chez Rhodia (ex-Rhône Poulenc) faisaient ainsi de la retape devant le Sénat : « Vous introduisez dans le gas-oil des nanoparticules d’oxyde de cérium pour diviser par un facteur de 100 environ la production de suies et ce pendant plus de 80 000 km. Peugeot développe cela avec nos produits. » (5)

Non seulement le diesel tue plus de 40 000 personnes par an en France, mais on l’enrichit de nanoparticules dont les effets, révélés au compte-gouttes, sont tout aussi désastreux. Admirez le progrès : l’oxyde de cérium utilisé pour rendre « plus propre » la combustion du diesel attaque nos poumons tout autant que les nanotubes de carbone, selon deux études publiées en 2014 et le 1er octobre 2015 : l’inhalation d’émissions de diesel additionné de nanoparticules d’oxyde de cérium induit des effets nuisibles. Les rats exposés développent entre autres des inflammations et des fibroses pulmonaires. (6) Quelqu’un en a-t-il informé le Sénat ? Mais pas de panique, les nanoparticules existent depuis la nuit des temps.

Résumons. En octobre 2011, le CEA avouait que, conformément à que nous écrivions depuis dix ans, les nanoparticules de dioxyde de titane pouvaient provoquer des inflammations cérébro-vasculaires et perturber certaines fonctions cérébrales. (7) Une aubaine pour Clinatec et la recherche en neurotechnologies, un vaste marché en expansion pour les dispositifs neuro-électroniques.

En octobre 2015, nous apprenons que les nanotubes de carbone, réputés pour leurs effets voisins de ceux de l’amiante, envahissent nos poumons. Une aubaine pour les nanotechnologues du rayon « Cancer », un vaste marché en expansion pour leurs futures molécules innovantes à base de nanoparticules et autres nanorobots tueurs de tumeurs.

En somme, rien de neuf sous le soleil de l’innovation.

Pièces et main d’œuvre

Grenoble, le 25 octobre 2015

NOTES
 (1) À lire sur www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=757
Merci à la lectrice qui nous a signalé la parution de cette étude.
 (2) Voir Aujourd’hui le nanomonde n°1 (2003) et 9 (2004).
 (3) Juillet 2004
 (4) 7/01/04
 (5) Rencontres internationales de prospective du Sénat : « Les nanotechnologies : vivier du futur. Pour une prise de conscience des enjeux écologiques », 20/06/02
 (6) Inhaled diesel emissions generated with cerium oxide nanoparticle fuel additive induce adverse pulmonary and systemic effects, étude publiée dans la revue Toxicological Science (2014), et Inhaled diesel emissions generated with cerium oxide nanoparticle fuel additive induce adverse pulmonary and systemic effects, étude publiée le 1/10/15 par Europe PubMed Central : http://europepmc.org/articles/pmc4579046
 (7) Lire On vous l’avait bien dit – Les nanoparticules, c’est bon pour l’industrie de la contrainte, PMO, 27/10/11