Voici un entretien avec L’Age de faire (à ouvrir ci-dessous).
On peut le lire sur papier dans le numéro de mai 2019 (2€, en vente dans tous les bons endroits et au journal lui-même.)
diffusion@lagedefaire-lejournal.fr
Tél. : 04 92 61 61 08
9 chemin de Choisy – 04200 Peipin
Cet entretien conclut un dossier de huit pages consacré à l’oppression numérique, c’est-à-dire aux manifestations de la société de contrainte sur lesquelles nous enquêtons depuis 2001. Ainsi le téléphone portable, alias smartphone, instrument d’aliénation, de surveillance et de destruction massive (Cf. Le téléphone portable, gadget de destruction massive, éditions L’Echappée, 2008) ; les puces communicantes RFID et la police totale qui infestent rapidement tous les objets fabriqués et tous les êtres vivants afin de les tracer – animaux domestiques (chiens, chats, moutons), objets et papiers personnels, et maintenant de plus en plus d’humains eux-mêmes, notamment des salariés (Cf. RFID : la police totale. Puces intelligentes et mouchardage électronique, L’Echappée, 2008). Et puis Linky, le capteur communicant d’Enedis, autant destiné à aspirer les données de 35 millions de foyers qu’à réguler de manière autoritaire leur consommation d’électricité. Internet, big data, algorithmes, IA, etc. Et mon tout est un homme-machine dans une maison-machine dans une ville-machine dans un monde-machine. Un emboîtement de machines intégrées les unes dans les autres, en vue d’un fonctionnement optimal.
Cette machinerie – machination -, nous l’avons dénoncée en 2008 : « « La société de contrôle, nous l’avons dépassée ; la société de surveillance, nous y sommes ; la société de contrainte, nous y entrons. » Voyez le chapitre intitulé « Le Pancraticon, ou l’invention de la société de contrainte », en conclusion de Terreur et possession, notre enquête sur la police des populations à l’ère technologique (L’Echappée, 2008).
Par « police », il faut entendre ce que le dictionnaire définit comme « l’organisation rationnelle de l’ordre public, dans un groupe social » (Robert), et qui va bien au-delà de ce qui est souvent nommé de façon évasive comme « gestion ». Ce Pancraticon, cette police machinale et toute-puissante, c’est « l’organisation rationnelle » de la société que Saint-Simon (1760-1825) et Engels (1820-1895) appelaient jadis de leurs vœux dans une formule célèbre et saisissante : « Remplacer le gouvernement des hommes par l’administration des choses ». On peut dire aussi techno-totalitarisme. Il revenait à Norbert Wiener (1894-1964) et à la cybernétique de concevoir et d’implémenter l’infrastructure matérielle de cette « machine à gouverner » (Le Monde, 1948). C’est fait.
Si la critique de la déshumanisation s’est diffusée, notamment dans le mouvement de refus des capteurs communicants, elle ne fait que suivre le progrès de la déshumanisation. Où il s’avère une fois de plus qu’anticiper la techno-trajectoire ne suffit pas à l’enrayer. Notre critique de la « ville intelligente » et de la « planète intelligente », à l’époque où IBM en testait les connexions, a éveillé l’intérêt d’auteurs de fictions « d’anticipation », qui y ont pompé des scénarii ; moins celui des militants ou des cercles supposés soucieux des libertés et des droits humains. Comme si déléguer nos vies et nos villes au système cybernétique ne menaçait ni les unes ni les autres. Comme si l’invasion technologique n’était pas une question politique.
La « ville intelligente » n’est plus un business plan d’IBM, mais le programme du prochain mandat de n’importe quel maire de métropole, de ville moyenne sinistrée, de smart village et de smart territoire (sic). D’où la 5G, l’Internet des Objets, l’électrification et la numérisation de la moindre parcelle de vie. Ne reste plus qu’à transformer les hommes en choses. C’est à quoi s’affaire désormais la société de contrainte, de multiples manières évoquées dans L’Age de faire.
Lire aussi :
– Le portable, gadget de destruction massive
– Le Pancraticon, ou l’invention de la société de contrainte
– La collection Négatif aux éditions L’Echappée (ici)
– RFID, la police totale (le livre et le film)
– IBM et l’industrie de la contrainte (et Pièce détachée n°50)
– Des moutons et des hommes, Pièce détachée n°33