« Les sciences sont notre avenir », annonce l’en-tête de Sciences en marche, site corporatiste des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). C’est-à-dire que nous n’avons pas le choix. TINA : There Is No Alternative, comme disent les critiques du libéralisme chez qui recrutent justement les animateurs de Sciences en marche.
Comme nous n’avons pas le choix, il ne nous reste qu’à aimer cet avenir inévitable, aussi haïssable et incertain qu’il puisse être. Il en va du Progrès (de leur progrès), de l’innovation, de la compétitivité de leurs entreprises, de l’économie (de leur économie), de l’adaptation de l’homme-machine au monde-machine – et puis surtout, des crédits de la recherche et de l’emploi des chercheurs.
A défaut d’avoir le choix ou d’aimer cet avenir scientifique, nous pouvons en parler. Ça ne change rien, mais ça soulage et, qui sait ? nous pouvons même nous y faire, faire notre deuil, trouver des moyens de l’adoucir et de l’accepter. Il y a des cellules psychologiques pour ça. On peut par exemple détruire un mode de vie et lui substituer un musée cimetière où employer les survivants comme guides, gardiens, fantômes. Enfin, il y a plein de possibilités. L’important c’est de participer - pas de gagner, puisque gagner est impossible, soyez rationnels. Participer, c’est accepter l’inévitable, l’avenir scientifique en marche. Voilà une attitude mûre, rationnelle et bénéfique : se soumettre à la loi du plus fort et tirer de cette soumission les miettes symboliques.
Malheureusement la société n’est pas aussi rationnelle qu’il le faudrait pour son propre bien. Elle est agitée de courants réactionnaires, bruyants, hostiles au nucléaire, au numérique, à la robotisation, aux OGM, aux nanotechnologies, aux gaz de schiste, aux puces RFID, à l’eugénisme, à la reproduction artificielle de l’humain. A l’organisation scientifique de la société. Des mouvements de refus s’expriment ; la jeunesse déserte les carrières scientifiques ; on ne croit plus les autorités scientifiques ; les médias échouent à porter la bonne parole et à faire entendre raison ; l’expertise et la démocratie technique sont tournées en dérision ; les pseudo-débats organisés par des instances pseudo-indépendantes donnent lieu au chahut et à la colère de la société. Du moins de cette partie de la société qui ne décide pas de notre avenir, qui ne fait pas partie du personnel technoscientifique ni de leurs partenaires publics et privés. C’est très inquiétant. Un rapport gouvernemental nous le dit : on ne peut pas, par exemple, développer les nanotechnologies ni la biologie de synthèse à l’échelle industrielle, sans le soutien de la société : « Il demeure impossible de déployer ces technologies à plus grande échelle sans un fort consensus social » (1).
– Tiens donc ! Ainsi, finalement, nous aurions le choix. Il y aurait une alternative. Et cela ferait une différence de dire oui ou de dire non.
C’est à gagner le soutien de la société que travaille tout un secteur des sciences sociales et humaines et de la communication. Une entreprise constante, croissante, de fabrication de l’opinion et du consensus : livres, films, articles, émissions, activités, évènements, suivant des procédures scientifiques donnant lieu à des retours d’expériences. Quant aux cobayes, c’est nous. En juin 2014, deux colloques sur le sujet rassemblaient à Paris journalistes, sociologues, industriels, associatifs, politiques. Tomjo y était. Lisez donc son reportage : « Les nouvelles tactiques de propagande des technosciences ».
Lisez aussi « La Science en question(s) », un ouvrage collectif dirigé par le sociologue Michel Wievorka (Ed. Sciences humaines, juin 2014). Ou encore l’appel de « Sciences en marche », « une action pédagogique à destination du grand public (…), à l’occasion de la Fête de la Science, du 27 septembre au 19 octobre 2014. » Dix ans après le mouvement « Sauvons la recherche » et ses revendications corporatistes (des postes, des carrières, des crédits), Alain Trautmann, membre du conseil scientifique du CNRS relance ses appels scientistes pour que la société vienne en aide à la recherche. (2) La société sait que « la science et ses applications » (3) servent d’abord à résoudre les problèmes qu’elles ont créés, tout en créant les nouveaux problèmes qu’elles devront résoudre. Elle sait aussi que la science est au service du pouvoir, dont elle renforce sans cesse la puissance. Aussi est-ce à juste titre que les chercheurs réclament récompense à celui-ci pour services rendus.
Sciences en marche : « Concrètement, le trajet se fera principalement en vélo sur des chemins convergents en flux, les dernières étapes à pied pour faciliter la participation du public et une entrée remarquée dans Paris. Chaque étape aura lieu, dans la mesure du possible, dans une ville universitaire et sera associée à des points presse, des conférences grand public, des animations scientifiques permettant d’expliquer notre travail et notre rôle dans la société. Les animations de la Fête de la science assureront la présence du public, dont la mobilisation pourra être renforcée au travers des réseaux sociaux. »
Il se pourrait que dans leur marche sur Paris, par des chemins convergents, entre le 27 septembre et le 19 octobre 2014, nos pèlerins de la Science croisent les victimes de leur travail et qu’elles leur demandent effectivement des comptes sur leur rôle dans la société. Ils pourraient rencontrer les opposants à l’enfouissement des ordures nucléaires de Bure, les faucheurs d’OGM, les 100 000 morts en sursis de l’amiante, les Chimpanzés du futur contre l’amélioration technologique de l’humain, les éleveurs de moutons hostiles au puçage électronique de leurs bêtes, les licenciés de tous les secteurs remplacés par des automates, des logiciels et des robots, les malades de la pollution électromagnétique, les paysans parkinsoniens victimes des pesticides, les opposants aux nécrotechnologies, les rétifs au monde-machine, sans oublier tous les obscurantistes réfugiés dans des grottes éclairées à la bougie.
NOTES
– (1) Rapport à lire ici : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=485
– (2) Voir « Recherche : des crédits pour quoi faire ? » (2004) : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=513
– (3) Libération, "L’emploi dans nos labos reste une urgence", 23/11/12
(Pour lire le reportage de TomJo, cliquer sur l’icône ci-dessous.)