Avant-propos (Pièces et Main d’oeuvre)
Le 9 mai 2011, Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et René Ricol, Commissaire général à l’investissement, réputé « proche de Sarkozy », annoncent la création à Grenoble d’un « Institut de Recherche Technologique », avec un financement de « plus de 100 millions d’euros ». A cet IRT s’ajoute la création de huit « Instituts Carnot », pour lesquels « on met 800 millions d’euros sur la table ». (Le Daubé, 9 mai 2011) Cet IRT, ces « Instituts Carnot », huit autres « laboratoires d’excellence » et encore huit « équipements d’excellence », sont censés répondre à l’obsession stratégique du capitalisme planétaire à l’ère technologique : l’innovation. Et pour cela, accroître, accélérer, achever l’intégration scientifico-industrielle. La fameuse liaison recherche-pouvoirs publics-industrie.
C’est Valérie Pécresse qui l’explique : « Les nanotechnologies représentent l’un des grands challenges technologiques et industriels de demain. (…) On essaie également de réfléchir à des financements pour un nouveau saut technologique dans le photovoltaïque. »
Et pourquoi Grenoble ? s’enquiert le journaliste du Daubé.
« Ce qui a plu au jury, c’est qu’il n’y a aucune frontière entre le monde de la recherche et les partenaires économiques. (…) Ce qu’il faut retenir, c’est l’association formation, recherche, technologie, industrie. On est vraiment dans la poursuite du succès de Minatec. »
On voit pourquoi il était – et reste - si important de « Sauver la recherche », et quel fond on peut faire sur la pseudo-distinction entre « recherche fondamentale », pure, désintéressée, et « recherche appliquée » - camelote « intelligente » pour consommateurs lobotomisés.
Le jour suivant, 10 mai, c’est au tour de Michel Destot, ancien ingénieur du Commissariat à l’énergie atomique, député-maire de Grenoble, et de Geneviève Fioraso, première vice-présidente à l’innovation de la Métro (communauté d’agglomération), de se réjouir de cette nouvelle captation de manne d’Etat par la technopole grenobloise. Pour mémoire, Destot fut conseiller municipal chargé de la communication, dans la municipalité Dubedout, un autre ingénieur du CEA devenu député-maire de Grenoble, et dont Geneviève Fioraso était l’attachée parlementaire. Il ne manque dans ce concert d’exultations que la voix de Stéphane Siebert, actuel adjoint au maire chargé du développement durable et directeur délégué de la recherche technologique au Commissariat à l’énergie atomique, en charge du projet GIANT (Grenoble Isère Alpes Nanotechnologies), qui vise à créer « un M.I.T à la française », en même temps qu’un nouveau centre-ville, à coups de gratte-ciel autour des laboratoires de la presqu’île, entre l’Isère et le Drac. Quand on aura ajouté que Stéphane Siebert, compagnon de Geneviève Fioraso, a fondé avec elle et Michel Destot, l’entreprise Corys, une start-up du CEA dont ils s’échappèrent juste avant faillite, pour investir la mairie en 1995, on aura un échantillon de ce qu’on entend localement par techno-gratin.
Mais Jean Therme ?
Le troisième jour, 11 mai 2011, Le Daubé qui n’a toujours pas dessoulé de ces centaines de millions d’euros - 400 ?... 800 ? - giboulant sur sa zone de chalandise, interroge « Jean Therme, l’inspirateur », le sorcier qui fait pleuvoir la fraîche, « directeur de la Recherche technologique du CEA et directeur du CEA Grenoble », promoteur de Minatec, de GIANT, du Sillon Alpin, etc. etc. On en passe beaucoup puisque le texte ci-dessous (Une statue pour Jean Therme, par Olivier Serre) résume en quelques pages trop brèves, hélas, l’ascension de ce technarque modèle. Que dit Jean Therme ?
« "In fine, un IRT, c’est quoi ? C’est Minatec ! Cela remonte à 2004 et Christian Blanc quand il a lancé les pôles de compétitivité. J’avais alors dit qu’il fallait faire un certain nombre de Minatec en France dans certains domaines au sein des villes performantes en innovation. (…) Aujourd’hui, il y a ainsi des Minatec dans l’infectiologie à Lyon-Gerland, dans l’aéronautique et le spatial à Montaudran-Toulouse, les matériaux composés et les matériaux organiques avancés à Nantes, les micronanos à Grenoble, les systèmes complexes à Paris, les matériaux à Metz et le transport-rail entre Compiègne et Valenciennes. Le modèle Minatec a donc été étendu ailleurs."
Objectif avoué de l’IRT : "Doubler en 10 ans l’écosystème grenoblois qu’il avait fallu 20 ans à constituer"… »
Voici cinq ans, le 1er juin 2006, un millier de manifestants protestaient contre l’inauguration de Minatec, lors de l’unique manifestation de rue jamais tenue contre les nanotechnologies, malgré les charges policières, dans une ville quadrillée deux jours durant. Vous êtes ou vous n’êtes pas venu à cette manifestation. Peut-être aviez-vous des occupations plus pressantes, une thèse à soutenir, des chèvres à traire ; peut-être étiez-vous fatigué de manifester – c’était l’année du CPE qui fit tant battre le pavé, une cause, il faut l’avouer, d’une tout autre importance que la nouvelle révolution industrielle. Peut-être n’étiez-vous pas convaincu du danger, de l’ampleur, de la réalité du projet des nanotechnologies et des technologies convergentes. Nous avons beaucoup entendu chuinter les mots de « phantasme », de « parano », de « catastrophisme ». Il paraît que ce n’est plus le cas et que même dans les réunions d’Attac, du Front de gauche, de la Ligue des droits de l’Homme, etc. - mais pas chez les Verts -, on prend des airs graves en évoquant les RFID, ces mouchards électroniques « dont il faudrait s’occuper ». Il paraît que même les télévisions se font un devoir de nous alerter contre le transhumanisme, ce nazisme en milieu scientifique, et l’avènement de l’homme-machine – mais pas les cyber-féministes. Il paraît que même les pires crétins citoyennistes ou radicalistes ont fini par comprendre que la dissémination de RFID à grande échelle, le projet de « planète intelligente » d’IBM, ou l’implantation de dispositifs cérébraux chez les futurs « hommes augmentés », suivant le vocable ciselé par la communication, n’étaient possibles que grâce aux nanotechnologies. Mais là-dessus, on n’oserait en jurer. Aujourd’hui, en même temps qu’il se réjouit de son succès, Jean Therme nous dit de façon on ne peut plus claire, irréfutable, ce que les organisateurs de la manifestation contre Minatec s’échinèrent à expliquer alors et depuis : il triomphe et il a raison. Les événements naissent de la rencontre d’une situation et de l’homme de la situation. Il a été l’homme de cette situation ; à Grenoble ; en France ; et maintenant en Europe. Ceux qui veulent transformer cette situation et combattre, combattre encore, la tyrannie technologique, ne peuvent faire moins que de connaître leur ennemi. Y contribuer est l’objet de cette Statue pour Jean Therme.
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